Le prix Pritzker 2022, plus haute distinction du monde de l’architecture, a été décerné mardi à l’architecte burkinabè Diébédo Francis Kéré. Il est le premier architecte africain à recevoir la récompense. Un hommage à ses engagements sociaux et humanitaires dans l’architecture.
« J’espère changer le paradigme, pousser les gens à rêver et à prendre des risques. Ce n’est pas parce que l’on est riche qu’il faut gâcher des matériaux. Ce n’est pas parce que l’on est pauvre, que l’on ne doit pas essayer de créer de la qualité », déclare Diébédo Francis Kéré dans un communiqué. « Tout le monde mérite de la qualité, tout le monde mérite du luxe et tout le monde mérite du confort. Nous sommes liés et nos préoccupations vis-à-vis du climat, de la démocratie et de la pénurie sont des préoccupations pour nous tous. »
Un pionnier de la fraternité
Les organisateurs du prix Pritzker saluent sa démarche, à la fois intellectuelle, sociale et architecturale : « Grâce à son engagement pour la justice sociale et à l’utilisation intelligente de matériaux locaux pour s’adapter et répondre au climat naturel, il travaille dans des pays marginalisés, où les contraintes et les difficultés sont nombreuses et où l’architecture et les infrastructures sont absentes ».
Le pionnier, qui a mené ses études d’architecture en Allemagne, fait des enjeux de durabilité et sociaux sa vocation depuis le début de sa carrière. Un de ses premiers projets est la construction d’une école primaire en 2001 à laquelle toute la population de Gando au Burkina Faso, sa ville natale, participe par le biais d’une levée de fonds. Selon les organisateurs du prix Pritzker, cette première construction « jette les bases de son idéologie : bâtir une source avec et pour une communauté afin de répondre à un besoin essentiel et corriger les inégalités sociales ».
Attentif aux conditions dans lesquelles évolue le bâtiment, Diébédo Francis Kéré réalise ainsi un toit permettant de protéger les murs des pluies et de le préserver de la chaleur tout en utilisant des matériaux disponibles dans la région et peu coûteux comme l’argile. Le design lui vaut la récompense Aga Khan pour l’architecture en 2004.
A l’origine de logements pour le corps professoral, d’une extension mais aussi plus récemment d’une librairie en 2019, cette école primaire, dont le nombre d’élèves est passé de 120 à 700, concrétise un véritable engagement social autant qu’architectural. Créée en 1998, la fondation bénévole participe également à la mise en place de projets, de partenariats et de levées de fonds pour aider les habitants de la ville.
L’architecte porte également sa vision pratique et utopique grâce à Kéré Architecture fondée elle à Berlin en 2005, qui rayonne sur l’ensemble du continent africain, notamment au Bénin, au Mali, au Togo, ou encore au Kenya.
Attaché à ses origines et aux traditions du Burkina Faso, Diébédo Francis Kéré met en effet l’Afrique à l’honneur dans ses créations. La symbolique de ce continent parcourt l’ensemble de ses oeuvres. Aujourd’hui, premier architecte africain à décrocher la plus haute distinction au monde en matière d’architecture, il avait déjà été le premier architecte africain à réaliser le design du pavillon Serpentine temporaire au coeur d’Hyde Park en 2017. La forme centrale évoque celle d’un arbre baobab tandis que la couleur du mur incurvée évoque celle du boubou, la tenue traditionnelle qu’il portait enfant.
Encore à l’état de projet, en raison du climat politique compliqué régnant au Burkina Faso, Diébédo Francis Kéré est en charge de la nouvelle Assemblée Nationale, après sa destruction au cours des soulèvements de 2014. Désireux d’en faire à la fois un espace inclusif de la végétation locale et également un monument en hommage aux victimes des protestations de l’ancien régime, ce projet architectural est un des plus ambitieux du lauréat sur le continent.
C’est également ce qu’il apporte en modernité et en bienveillance à l’image de la profession que l’organisation Pritzker met en valeur : « Dans un monde en crise, traversé par différentes générations et des changements de valeurs, il nous rappelle ce qui a été et ce qui continuera d’être incontestablement une des pierres angulaires de la pratique architecturale : le sens de la communauté. […] En cela il fournit un récit dans lequel l’architecture devient une source durable de bonheur et de joie ».
Diébédo Francis Kéré rejoint ainsi les plus grands noms de l’architecture à avoir reçu cette distinction comme Frank Gehry, Tadao Ando, Renzo Piano, Zaha Hadid ou Jean Nouvel.
Léa Colombo