Face à la guerre en Ukraine, le silence de nombreux pays africains

Mathu Joyini, représentante permanente de l'Afrique du sud aux Nations Unies, s'exprimant au sujet du conflit entre la Russie et l'Ukraine• Crédits : Andrea RENAULT - AFP
Mathu Joyini, représentante permanente de l’Afrique du sud aux Nations Unies, s’exprimant au sujet du conflit entre la Russie et l’Ukraine• Crédits : Andrea RENAULT – AFP

L’Assemblée générale de l’ONU a adopté mercredi 2 mars une résolution qui “exige que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine”. Une vingtaine de pays africains ont préféré s’abstenir, à la grande surprise de nombreux observateurs.

Un silence “remarquable” selon le New York Times. Le quotidien américain évoque un décompte saisissant des voix exprimées – ou non – par les pays africains, et qui reflète l’ambiguïté d’une grande partie du continent à l’égard de ce qui se passe depuis une semaine.  Le site Africa Times a fait le compte : 23 pays du continent ont soutenu le texte, mais 16 se sont aussi abstenus, tandis que 8 étaient absents notamment le Maroc ou encore le Burkina Faso. Et un pays a voté contre, l’Erythrée, à l’image de la Russie, la Biélorussie, la Corée du Nord et la Syrie.

Parmi ces abstentions, l’Algérie, la République centrafricaine, le Mali, ou encore l’Afrique du Sud. Des pays qui ont décidé d’adopter “un profil bas diplomatique” dans cette crise russo-ukrainienne, selon le site kényan The East African.

Des abstentions qui n’ont pas été sans divisions au sein de certains pays. Le site de l’hebdomadaire de Johannesburg Mail and Guardian explique que le communiqué sud-africain a connu plusieurs modifications, avant la suppression d’une ligne appelant la Russie à se retirer d’Ukraine. La version finale ne fait aucune référence directe à Moscou, appelant vaguement au dialogue politique.

Une tradition de non-alignement

De nombreux journaux, comme le Mail and Guardian y voient la tradition sud-africaine de non alignement, le New York Times de son côté rappelle que depuis l’époque de Nelson Mandela, les dirigeants sud-africains ont tour à tour rejeté les critiques américaines sur leurs amitiés avec Fidel Castro ou avec Mouammar Kadhafi qui tous deux avaient soutenu le mouvement anti-apartheid.

Aujourd’hui, estime le quotidien américain, Pretoria défend sa loyauté envers un autre autocrate – Vladimir Poutine – restant à l’écart du tollé mondial suscité par le déclenchement de cette guerre.  “Fuie par les autres, la Russie trouve des amis en Afrique” c’est d’ailleurs le titre du New York Times ce vendredi 4 mars, rappelant que Moscou est aujourd’hui le plus grand marchand d’armes sur le continent, et accroît son influence grâce à la présence des mercenaire du groupe privé Wagner.

Et de citer Lindiwe Zulu, la ministre sud-africaine du développement social : “La Russie est notre amie de bout en bout“, a-t-elle déclaré, écartant l’idée de dénoncer une relation que son pays a toujours eue avec Moscou.

Et le Kremlin joue sur son ancien soutien à certains mouvements de libérations africains, se présentant comme un rempart contre le néocolonialisme occidental. Dimanche dernier, le ministère russe des Affaires étrangères a même pris le temps de se féliciter sur Twitter des 30 ans de relations entre la Russie et l’Afrique du sud.

Cette stratégie de non-alignement, certains s’en félicitent au sujet du Sénégal qui s’est également abstenu à l’ONU. Le journal sénégalais Le Quotidien publie cet éditorial de Mohamed Gueye qui évoque une position “courageuse”, conforme à la tradition de neutralité et de diplomatie active du pays.

Dans un autre éditorial, toujours publié par Le Quotidien, Amidou Anne de son côté déplore le soutien d’une partie de l’opinion publique sénégalaise à Vladimir Poutine. Pour certains observateurs, écrit le site Dakar actu, l’abstention du Sénégal serait une réponse au traitement jugé raciste dont ses ressortissants feraient l’objet à la frontière ukraino-polonaise.

Une volonté de neutralité qui semble se confirmer. Ce matin, plusieurs médias sénégalais partagent ce communiqué du ministère des Affaires étrangères qui réagit vivement à un appel lancé aux citoyens étrangers par l’ambassade ukrainienne à Dakar. Un appel à venir en aide à Kiev, avec, à l’appui un formulaire d’inscription. “Le gouvernement sénégalais dit niet !” titre le site Xalima.

Le message adressé a depuis été retiré de la page Facebook de l’ambassade. L’ambassadeur à Dakar Yurii Pyvovarov lui a été convoqué au ministère, qui précise dans son communiqué “que le recrutement de volontaires, mercenaires, et combattants étrangers sur son territoire est illégal et passible de peines prévues par la loi”.

Pour conclure, ce manque global de soutien direct des Africains à l’Ukraine semble perturber Washington. Le site Dakar Actu relate ainsi cet appel lancé par les États-Unis au continent. Lors d’un point en visio avec des journalistes, le secrétaire adjoint du bureau des affaires africaines a fait comprendre que seule l’union autour des États-Unis pourrait faire reculer Vladimir Poutine.

En Russie, le prix de l’opposition à la guerre

Plusieurs médias relatent des témoignages de Russes qui ont perdu leur emploi à cause de leur opposition à l’invasion de l’Ukraine. Yekaterina Dolinina s’est réveillée le 24 février dernier avec un déluge de notifications et de messages sur son téléphone, relate The Moscow Times. Elle dirige alors deux cinémas du centre de la capitale, et comme beaucoup de ses compatriotes, elle est anéantie par l’annonce de “l’opération spéciale” selon l’expression utilisée par le Kremlin. Dès le lendemain, elle ajoute son nom à une pétition anti-guerre qui circule dans le milieu de la culture et de l’art. Lundi 28 février, elle a été appelée par ses supérieurs qui lui ont donné le choix suivant : “Faites une déclaration publique disant que votre nom a été ajouté par erreur, ou démissionnez, sous peine de devoir subir un licenciement “très désagréable“.

Yekaterina Dolinina se doutait bien qu’en travaillant dans un établissement culturel lié au gouvernement elle aurait des problèmes… Mais elle ne s’attendait pas à un licenciement forcé. Le signe selon elle “du nouveau monde” dans lequel les Russes vivent désormais.

Le site The Village relate de son côté ce qui est arrivé à Yevgenia, une architecte de Saint-Pétersbourg qui a eu l’audace d’accrocher une banderole “Non à la guerre !” sur le pont Gorstkin dès le début de l’opération russe. C’est une militante de longue date, très investie notamment dans les mouvements féministes.

Le lendemain, quatre policiers sont venus à l’institut privé d’urbanisme où elle travaille. Et elle est aussitôt condamnée à une amende de 20 000 roubles, pour “organisation d’un rassemblement de masse dans un lieu public“.

Elle aussi a perdu son emploi, mais elle a eu de la chance : la cheffe de son département a réussi à persuader les patrons de l’entreprise de laisser partir Yevgenia à sa demande et a proposé à la jeune femme de continuer à collaborer à distance.  Cette dernière a quitté son bureau avec ce trait d’humour : “C’est drôle, dit-elle, qu’en me privant de mon travail, les autorités m’aient libéré du temps pour l’activisme.”

France Culture

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A propos CARMEN FEVILIYE 808 Articles
Juriste d’affaires Ohada / Journaliste-Communicant/ Secrétaire Générale de l'Union de la Presse Francophone - UPF section France