Restitution des oeuvres d’art du Benin : “une justice mémorielle faite par la France”

Une première dans l’histoire de la coopération entre la France et ses anciennes colonies : Paris vient d’accéder à la demande du Bénin de restitution de ses œuvres culturelles hébergées au musée du Quai Branly-Jacques Chirac. Le 27 octobre, la cérémonie officielle y a eu lieu pendant la semaine culturelle du Benin organisée pour dire aurevoir aux oeuvres d’art.  Emmanuel Macron a pris part à la cérémonie, en présence de Roseline Bachelot, ministre française de la Culture, d’Aurélien Agbénonci, ministre béninois des affaires Etrangères, de Bénédicte Savoy et de Felwine Sarr, co-auteurs du rapport de restitution rendu au président français le 28 novembre 2018

Cérémonie au musée du Quai-Branly@AAFC
Cérémonie au musée du Quai-Branly@AAFC

« Le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens. Le patrimoine africain doit être mis en valeur à Paris mais aussi à Dakar, à Lagos, à Cotonou, ce sera une de mes priorités. Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique.»

Cette promesse d’Emmanuel Macron faite le 28 novembre 2017 à l’université d’Ouagadougou, au Burkina Faso a été le fait déclencheur. Moins d’un an plus tard, Felwine Sarr, professeur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis (Sénégal) et Bénédicte Savoy, professeure à la Technische  Universität de Berlin (Allemagne), chargés par Emmanuel Macron d’étudier l’épineuse question de restitution par la France du patrimoine culturel africain, lui ont remis leur rapport qui a débouché sur la restitution des œuvres.  Un rapport de 232 pages avec des dispositifs juridiques proposant un renversement de la charge de la preuve, contraire à l’usage en droit français selon lequel celle-ci repose sur celui qui demande la nullité de l’acte.

@lepoint.fr
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Sur demande du Bénin et grâce à une loi sur la restitution des œuvres d’art pillées, introduite par Emmanuel Macron et votée en 2020, 26 œuvres et totems de l’ancien royaume d’Abomey  pris par les forces françaises en 1892 pendant la colonisation, vont pouvoir finalement retrouver leur terre natale,  comme s’y était engagé Emmanuel Macron. Cela arrive 129 ans après le pillage par la France du palais royal d’Abomey au Bénin.

Exposés depuis le 26 octobre au musée du Quai-Branly, les objets et totems concernés racontent une part considérable de l’histoire du Bénin, avant la colonisation par la France. Transportées à Paris dans un acte de violence après le pillage du palais du Gléglé par un général français, ces œuvres ont une importance aussi pour l’histoire de la France comme puissance coloniale, puisqu’elles démontrent comment la France, comme les autres puissances coloniales européennes, se sont servies dans leurs colonies en biens naturels et culturels.  L’importance de ces pièces étant considérable, elles ont toujours été exposées à Paris depuis  les années 1900 au musée ethnographique du Trocadéro.

85 à 90% du patrimoine africain serait hors du continent, selon certains experts

Selon le rapport Savoy-Sarr, 70 000 objets africains sont actuellement conservés au musée du Quai-Branly à Paris. De nombreuses pièces identifiées au Bénin, Sénégal, Nigeria, Ethiopie, Mali et Cameroun, sont, selon les auteurs, « réclamées depuis longtemps par les pays d’origine ».  Les co-auteurs du rapport ont par conséquent recommandé de restituer non seulement les objets saisis à travers des butins de guerre  par des militaires français et étrangers à l’époque coloniale, mais également les objets collectés lors de missions civiles, scientifiques ou ethnographiques, ceux donnés aux musées français par des agents de l’administration coloniale ou toutes pièces acquises après 1960 de manière illicite.

@aafc
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Même si le rapport ne recommande dans un premier temps que la restitution  d’objets précisément identifiés (8 objets provenant du sac d’Abomey au Bénin, 3 objets issus du butin de guerre fait à Ségou au Sénégal, 5 objets provenant du sac de Benin City au Bénin, les peintures de l’église Saint-Antoine à l’Ethiopie, 7 masques et autres objets au Mali et un trône au Cameroun), il suggère encore de procéder à un inventaire complet des pièces africaines conservées dans les musées français, et d’appliquer les critères préconisés dans le rapport afin de procéder à des restitutions plus importantes. Selon ces critères, la restitution pourrait à terme s’étendre à la majeure partie des objets africains acquis avant 1960, se trouvant dans des musées publics français. Pour le seul musée du Quai-Branly, plus de 50 000 objets seraient susceptibles de remplir les critères de restitution posés par le rapport.

Emmanuel Macron entouré de Roselyne Bachelot, Aurélien Agbénonci, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr@AAFC
Emmanuel Macron entouré de Roselyne Bachelot, Aurélien Agbénonci, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr@AAFC

Le casse-tête juridique bloquant du principe français d’inaliénabilité a été  renversé

La restitution s’est heurtée en droit français au principe d’inaliénabilité des biens constituant les collections des musées publics consacré.  Le rapport a donc proposé de modifier le code du patrimoine en introduisant une procédure nouvelle de restitution pour tous les biens culturels provenant d’anciennes colonies, avec une demande présentée par l’Etat d’origine du bien, soumise à avis d’une commission scientifique. Il suggère en outre d’adopter des accords bilatéraux entre la France et chacun des Etats africains concerné par la restitution.

Le Bénin a été, jusqu’à la publication du rapport, le seul pays à avoir exprimé une demande de restitution. Le Sénégal et la Côte d’Ivoire ont depuis affirmé vouloir eux aussi obtenir la restitution des œuvres identifiées comme provenant de leur pays (10 000 objets demandés par le Sénégal et 100 objets par la Côte d’Ivoire).

@aafc
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Emmanuel Macron « est entré dans l’histoire de la coopération entre le Bénin et la France”

Emmanuel Kasarhérou, président du musée du Quai-Branly, a été le premier à prendre la parole. Selon lui, la restitution  émane de la volonté du Bénin et de la France de « regarder en face un passé commun », une volonté « basée sur la transparence des faits », qui a permis de documenter avec rigueur l’origine des œuvres. « Telle est  la mission du quai Branly qui travaille avec les partenaires africains ». Le rôle du musée a été donc « d’accompagner intelligemment et sensiblement la restitution ».

« C’est une cérémonie attendue depuis 60 ans. Nous avons gagné la bataille des récupérations des œuvres d’art africains, nous avons renversé les stratégies pour empêcher la restitution et étouffer les débats ». Ce cri de victoire est celui de Bénédicte de Savoy et Felwine Sarr, les co-auteurs du rapport qui ont également confirmé  que « la France est restée longtemps crispée sur le principe d’inaliénabilité et à la restitution ». « Aujourd’hui, le pays a laissé la place à la restitution », ont affirmé avec soulagement les co-auteurs avant de souligner que cette question est d’une perspective mondiale, car ” il y aura un avant et un après”.

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Le scientifique sénégalais, Felwine Sarr a pour a part mis l’accent sur l’aspect spirituel des œuvres en ces mots: « Ces objets ont une valeur spirituelle considérable, une part sensible du patrimoine historique et culturel.  C’est une nouvelle histoire qui s’ouvre pour les oeuvres et les pays qui les récupèrent.  Ces objets qui retournent sont des signes  des forces du réel, habités par l’âme et l’esprit des cultures. C’est une justice mémorielle faite par la France » avant de conclure en s’adressant directement aux objets par ces mots simples mais remplis de force : « Bon retour chez vous ! ».

Aurélien Agbénonci, ministre du Bénin des affaires Etrangères, a dans son allocution, salué le leadership et l’engagement du président français en faveur de « la modernisation des relations entre Afrique et la France ». « Nul ne pouvait prédire l’aboutissement. Et les obstacles ont été nombreux », a rappelé le ministre béninois, démontrant encore que la restitution est le résultat de « l’aboutissement d’un dialogue constructif entre le Bénin et la France, un modèle de coopération qui se veut exemplaire en la matière ».

Le Bénin assure prendre soin des œuvres qui sont ” une part indéniable de l’identité culturelle et cultuelle des béninois”, une opportunité  à faire du pays une destination touristique de choix, à en croire l’investissement du pays dans la construction d’infrastructures pour l’accueil des œuvres, la quête de renforcement des capacités des professionnels en la matière et l’adoption de la loi sur la protection des biens culturels. Le Bénin, par la voix de son ministre des affaires Etrangères, a plaidé pour un renforcement de coopération muséale et l’élaboration d’un répertoire d’identification de ses œuvres d’art en France.

Prise de parole d'Aurélien Agbénonci , ministre béninois des affaires Etrangères @AAFC
Prise de parole d’Aurélien Agbénonci , ministre béninois des affaires Etrangères @AAFC

Aurélien Agbénonci a enfin transmis la reconnaissance de Patrice Talon, président du Bénin, de cette coopération à son homologue français, « un acte de justice mémorielle qui fait entrer Emmanuel Macron dans l’histoire de la coopération entre la France et Bénin.”

Pour sa part, le chef de l’Etat français – qui s’est rendu à l’exposition avant de prendre part à la cérémonie –  a pris la parole pour annoncer la venue prochaine à l’Elysée de Patrice Talon, « pour rendre effective la restitution ». Emmanuel Macron a rappelé son « engagement de Ouagadougou » à rendre sous 5 ans les œuvres.  « Il faut redonner accès à la jeunesse africaine à une partie de son patrimoine car les jeunes ont besoin de repères identitaires culturels », a expliqué le président français avant de poursuivre en ces termes: « Le but n’est pas de renationaliser les patrimoines. Il s’agit de restituer des choses indûment confisquées, de rendre accessible l’universalisme des patrimoines, un universalisme rendu accessible, soutenu et accompagné ». Pour Emmanuel Macron , cet acte historique se justifie par l’importance « d’ouvrir de nouveaux horizons d’échanges et de partage ». « C’est une étape d’un mouvement inexorable qui commence, un travail mené de manière partagée avec nos partenaires africains. Ce dialogue est indispensable avec tous les espaces que l’histoire a rendu indétachables avec la France », a soutenu Emmanuel Macron en fin d’allocution

@AAFC
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L’exposition spéciale des 26 oeuvres d’art béninoises avant leur restitution au Bénin se poursuit  jusqu’au 30 octobre au musée du Quai Branly-Jacques Chirac, qui abrite 70 000 objets d’art d’Afrique subsaharienne sur les 90 000 détenus par la France. En parallèle à cette exposition, de nombreux événements, tels que des colloques et des concerts, sont organisés pour mettre le Bénin à l’honneur. Il y aura « un avant et un après » à cette démarche du Bénin, comme l’ont assuré les officiels, car déjà plusieurs pays d’Afrique ont emboîté le pas.

Carmen Féviliyé

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A propos CARMEN FEVILIYE 808 Articles
Juriste d’affaires Ohada / Journaliste-Communicant/ Secrétaire Générale de l'Union de la Presse Francophone - UPF section France