Anatole Collinet Makosso : « On ne pouvait envisager la reprise des opérations électorales ».

Anatole Collinet Makosso, ministre congolais de l'Enseignement primaire, secondaire et de l'alphabétisation, à Paris, le 25 mai 2012. © Vincent Fournier/Jeune Afrique
Anatole Collinet Makosso, ministre congolais de l’Enseignement primaire, secondaire et de l’alphabétisation, à Paris, le 25 mai 2012. © Vincent Fournier/Jeune Afrique

CONGO – C’est la réponse sur la polémique autour de la disparition soudaine de Guy Brice Parfait Kolélas, quelques heures après le scrutin, du  premier directeur de campagne adjoint, porte-parole chargé des relations publiques du candidat Denis Sassou N’Guesso lors des dernières présidentielles des 17 et 21 mars au Congo-Brazzaville. Une affirmation que vient de confirmer la cour Constitutionnelle en rejetant, ce 6 avril, les recours en annulation et en report du premier tour de l’élection présidentielle déposés par les anciens candidats Mathias Dzon, Jean-Jacques Serge Yhombi-Opango (soutien de Guy Brice Parfait Kolélas) et Christian Mozoma, citoyen congolais. La cour Constitutionnelle vient également de conforter les résultats provisoires des élections en déclarant réélu président de la République, Denis Sassou N’Guesso.

Les congolais entrent ainsi dans une nouvelle gouvernance de cinq années de plus de Denis Sassou N’Guesso, sous une constitution réformée en 2015, dont ils attendent une application concrète et honnête, une attende aussi des institutions internationales. Notre Rédaction a souhaité porter un regard critique sur les articles clés des textes fondamentaux, ceux qui font l’actualité du pays.

Un entretien AAFC, réalisé avant la décision de la cour Constitutionnelle, avec Anatole Collinet Makosso, auteur de plusieurs ouvrages, dont Le régime consensualiste dans la constitution congolaise du 25 octobre 2015 : commentée article par article (Ed. L’Harmattan). Magistrat, maître-assistant Cames, enseignant-chercheur à l’université Marien Ngouabi de Brazzaville, docteur en droit international pénal et diplômé du Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques de Paris, Anatole Collinet Makosso est actuellement  ministre congolais de l’Enseignement primaire, secondaire et de l’Alphabétisation.

 Anatole Collinet Makosso lors de la conéfrence de presse des porte-parolesdu candidat Denis Sassou N'Guesso -  Médiac PRÉSIDENTIELLE 2021 : LE SOCIAL SELON DSN - First Médiac
Anatole Collinet Makosso lors de la conéfrence de presse des porte-parolesdu candidat Denis Sassou N’Guesso – Médiac PRÉSIDENTIELLE 2021 : LE SOCIAL SELON DSN – First Médiac

Propos recueillis par Carmen Féviliyé / @FeeFeviliye

AAFC : La disparition de l’opposant Guy Parfait Kolélas pendant les élections présidentielles a suscité une polémique sur l’article 70, selon lequel : (…) si avant  le premier tour, un des candidats décède ou se trouve définitivement empêché, la cour Constitutionnelle prononce le report de l’élection. En cas de décès ou d’empêchement définitif de l’un des candidats restés en lice pour le second tour, la cour Constitutionnelle déclare qu’il soit procédé de nouveau à l’ensemble des opérations électorales (…). Le président de la commission Electorale a affirmé que  l’article 70 n’était pas applicable dans ce cas.  Et vous, qu’en pensez-vous ?

 Anatole Collinet Makosso : Que pourrais-je dire de plus que ce qu’a dit le président de la commission Electorale indépendante, chargée justement d’appliquer la loi électorale et de surcroît lui-même, Premier président de la cour suprême. Pour moi, cet article pose deux principes : celui du candidat qui décède avant le premier tour  et du candidat favori qui décède entre les deux tours ou qui se trouve en situation d’empêchement. La règle est celle-ci : il y’a report de l’élection si le candidat décède avant le premier tour de l’élection. L’élection a eu lieu le 21 mars. Le candidat décède le 22 mars. Cette disposition ne s’applique donc pas. On peut supposer  qu’il était dans une situation d’empêchement avant le 21 puisqu’il est à l’hôpital le 19 et évoquer par conséquent, le cas d’empêchement définitif à constater par la cour constitutionnelle. Si la cour avait été saisie, l’élection aurait été sans doute annulée.  Pour saisir la cour constitutionnelle, il faut le dossier médical de façon à obtenir de cette cour la déclaration et la constatation de l’empêchement de Guy Brice Parfait Kolélas.  Qui a vu le dossier médical de Guy Brice Parfait Kolélas avant le 21 mars ?

Guy Brice Parfait Kolélas - france24.com
Guy Brice Parfait Kolélas – france24.com

Bien au contraire, le candidat Guy Brice Kolélas a continué à battre campagne, y compris le jour du scrutin électoral, donc après la campagne. C’est le 20 mars qu’il appelle sur son lit d’hôpital, ses électeurs à aller voter. Cela veut dire qu’il n’était pas dans un état d’empêchement définitif. Prenons la seconde disposition de cet article : le favori qui décèderait entre les deux tours. Celle-ci ne peut être évoquée car il n’y a pas eu de deuxième tour.  On ne pouvait donc pas envisager la reprise des opérations électorales.

Pour saisir la cour Constitutionnelle, il faut le dossier médical de façon à obtenir de cette cour la déclaration et la constatation de l’empêchement de Guy Brice Parfait Kolélas.  Qui a vu le dossier médical de Guy Brice Parfait Kolélas avant le 21 mars ?

Sur le financement des partis politiques, l’article 59 énonce qu’ils « bénéficient du concours financier de l’État ». Comment organisez-vous ce financement ? Pendant la période électorale, nous avons observé un écart important entre les candidats sur les dépenses de campagne. Comment expliquez-vous ce décalage ? La transparence sur les fonds engagés est-elle de mise ?

 Oui, l’Etat finance tous les partis politiques représentés au Parlement ou ayant obtenu des élus dans plus de la moitié des conseils départementaux et municipaux. Ces derniers bénéficient d’un financement proportionnel à leur représentativité. L’écart constaté est  proportionnel au décalage dans l’implantation et dans le niveau de représentativité de chaque parti.

Les cotisations et la force numérique des militants du PCT engendrent une ressource financière qui n’est pas comparable aux militants d’autres partis.

En outre, les partis politiques vivant de cotisations de ses membres, un parti politique comme le PCT, avec plus de 600 mille membres, ne disposerait pas des mêmes moyens que d’autres ayant moins d’adhérents cotisants. Parce que les partis vivant de cotisations, les cotisations et la force numérique des militants du PCT engendrent une ressource financière qui n’est pas comparable aux militants d’autres partis. C’est normal de constater une disproportion logistique et dans la mobilisation des ressources de campagne. En outre, lorsque vous arrivez à dépasser au moins 10% des suffrages, le remboursement de vos frais de campagne est assuré. Il n’y a aucun doute que le PCT, fort de sa popularité et de l’importance de ses membres, était sûr de dépasser les 10% des suffrages. Il peut donc mettre tous les moyens dans la campagne, espérant de se faire rembourser. Le PCT est bien implanté. Et cela se justifie : il est le parti historiquement le plus ancien,  politiquement le mieux organisé, sociologiquement le mieux implanté sur toute l’étendue du territoire.

Concernant la transparence des fonds engagés, vous n’avez pas répondu…

 Nous avons des organes de transparence. La gestion des partis politiques est encadrée. Lorsque nous présenterons  l’état de nos dépenses, les gens verront si c’est proportionnel à nos capacités de mobilisation de ressources. En parcourant le pays, le candidat Denis Sassou N’Guesso a bénéficié des aides  de beaucoup de nos compatriotes.

Une séquence de la campagne du candidat Denis Sassou N'Guesso - Le Temps letemps.ch
Une séquence de la campagne du candidat Denis Sassou N’Guesso – Le Temps letemps.ch

 L’opposition politique est reconnue en République du Congo, par l’article 63. Dans votre pays, elle a du mal à s’imposer. Elle est quasi inexistante. Constatez-vous cette faiblesse ?

 Le peuple le sait. Nous le percevons par leur difficulté ne serait-ce qu’à tenir leurs congrès, leurs propres réunions, par la difficulté qu’ils ont à se présenter aux élections. Pendant la présidentielle, nous avons bien vu la défaillance de l’opposition. On aurait pu parler d’une opposition en faillite. A leur décharge, c’est parce que le PCT a d’abord à sa tête une personne qui fait l’unanimité au niveau national. Et le PCT joue sur ça. En outre, en dehors de Denis Sassou N’Guesso, le PCT a en son sein des cadres bien formés, bien préparés, bien au fait de la gestion de l’Etat, qu’on ne retrouve pas dans les partis politiques de l’opposition. C’est ce qui crée le déséquilibre entre le PCT et les autres partis.

Ce déséquilibre ne met-il pas à mal le jeu de la démocratie au Congo ?

 Non, c’est un processus dynamique ; il suffit simplement que les partis continuent à se former et qu’ils s’inspirent du PCT pour former leurs militants, se structurer, s’organiser, s’implanter et ne pas instrumentaliser un petit groupe ethnique. Le problème c’est que ces partis pensent que le fait d’être le cadre du village fait du dirigeant du parti un grand homme politique. Je pense que petit à petit, les gens vont se rendre compte que cette stratégie identitaire des dirigeants des partis ne paye pas et ils vont essayer de sortir de leur carcan familial, de ce repli identitaire.

Vous parlez de repli identitaire, n’est-ce pas le cas au PCT ?

Ah bon ? Je vous ai dit que le PCT est implanté dans tous les villages du Congo ! Il est implanté dans tous les départements, dans tous les quartiers, dans tous les blocs. Dans une élection présidentielle, le PCT peut avoir des représentants dans tous les bureaux de vote,  contrairement à d’autres partis qui présentent des candidats à la présidentielle mais incapables de mobiliser 5 mille membres pour que chacun soit dans un bureau de vote. Le PCT n’est pas un parti identitaire, ce n’est pas possible.

Lorsque nous présenterons  l’état de nos dépenses, les gens verront si c’est proportionnel à nos capacités de mobilisation de ressources.

Parlons du président de la République avec l’article 96 qui dit ceci  : « Aucune poursuite pour des faits qualifiés de crime ou délit ou pour manquement grave à ses devoirs commis à l’occasion de l’exercice de sa fonction ne peut plus être exercée contre le président de la République après la cessation de ses fonctions ». Est-ce une immunité à vie accordée au président de la République ?

Denis Sassou N'Guesso, président de la République réélu
Denis Sassou N’Guesso, président de la République réélu

Il ne faut pas parcourir la constitution de façon partiale ou sectaire. Il faut d’abord lire l’article 95 qui précède! Ce n’est  pas une immunité à vie si vous lisez bien l’article 95 qui dit qu’on peut poursuivre le président de la République. Et l’article 96 vous pose la question : pourquoi voulez-vous poursuivre une personne  qui pendant son mandat a commis des fautes que vous n’avez pas sanctionnées pendant qu’elle était en fonction ? Pourquoi voulez-vous seulement la poursuivre après avoir rempli de loyaux services au profit de son peuple ?

Pendant la présidentielle, nous avons bien vu la défaillance de l’opposition, on aurait pu parler d’une opposition en faillite.

Quoi de plus normal que de poursuivre un président de la République qui serait de mauvaise foi, commettant des crimes graves et imprescriptibles, même après s’être retiré des affaires ! Ce n’est que rendre justice…

L’histoire nous démontre bien que nous avons déjà eu des dirigeants en exercice de leur fonction qu’on a trainé devant la justice. Ce qui revient à dire que si un président, dans l’exercice de ses fonctions, commet des crimes odieux, graves, l’article 95 nous dit qu’il est justiciable devant la Haute cour de justice et que sa responsabilité peut être engagée. Mais vous n’allez pas attendre qu’il ne soit plus aux affaires pour faire la chasse aux sorcières ! C’est ce que le droit congolais, en avance sur les autres pays, a réussi à faire percevoir aux personnes qui optent pour la politique du règlement de compte, qui trouble la quiétude d’un président de la République qui a rendu de loyaux services à l’Etat. C’est souvent une politique mise en œuvre par les successeurs au trône qui veulent déstabiliser la vie de leurs prédécesseurs. Il nous a fallu arrêter avec la justice du règlement des comptes, la justice du vainqueur sur le vaincu. N’est ce pas là un acte de sagesse de la part du constituant congolais ?

La Constitution admet la double nationalité. La majorité des congolais qui jouissent de cette exception sont établis hors du Congo. Pourquoi n’exercent-ils pas leur droit de vote ? Est-ce à cause des difficultés réelles sur l’organisation des élections à l’étranger ou est-ce une vraie stratégie politique par crainte du vote sanction?

La démocratie est un processus. Nous n’avons pas encore réussi à parfaire tout le système électoral. De la même manière que nous sommes en train de nous organiser pour parvenir à l’établissement de la biométrie, de la même manière nous étendrons le processus jusqu’aux congolais établis à l’étranger. Il n’y a aucune raison qu’ils soient privés de leur droit de vote. C’est certainement des questions logistiques, d’organisation. Il faut savoir expliquer comment on fera par exemple voter les congolais qui sont en France en excluant ceux qui sont au Pakistan, par exemple.  Il faut qu’on se soit assuré de la capacité que nous aurons à toucher les congolais partout où ils se trouvent.

Denis Sassou N’Guesso considère t-il cette problématique dans sa nouvelle politique?

L’amélioration de la gouvernance électorale fait partie de nos priorités. Le projet de société de Denis Sassou N’Guesso nous appelle à  renforcer la démocratie, l’état de droit et à améliorer la gouvernance électorale.  C’est un processus. On y arrivera. La démocratie française qui avait triomphé depuis 1789 a été un long cheminement ; ils sont passés par des régimes censitaires où ne votaient que ceux qui payaient l’impôt. Le droit des femmes à voter est intervenu seulement en 1948. Ceux qui ne se privent pas de nous faire des leçons sur ces questions, je leur réponds de revoir ce qui s’est passé dans les pays dits de vielle démocratie. Cela commence par une éducation civique pour savoir leurs devoirs citoyens, comme le prévoit la vision, dans l’approche du développement du capital humain.

De la même manière que nous sommes en train de nous organiser pour parvenir à l’établissement de la biométrie, de la même manière nous étendrons le processus jusqu’aux congolais établis à l’étranger.

Tout autre sujet : afin de répondre aux exigences universelles des droits humains, votre constitution a aboli la peine de mort. Une grande avancée qui pourtant, depuis 2016, reste inaperçue …

Oui, cela reste inaperçu parce que nous n’avions pas la pratique de la peine de mort. Nous l’avions établi dans toutes nos constitutions mais nous savons bien que depuis l’arrivée au pouvoir de Denis Sassou N’Guesso, cette peine de mort n’a jamais été appliquée. Simplement parce que ce n’était pas dans nos pratiques. Chaque fois qu’une personne était condamnée à mort, elle bénéficiait soit d’une remise de peine, soit d’une amnistie, et  même d’une grâce présidentielle. Nous l’avons inscrite dans le texte, mais en réalité, elle était déjà presque abolie puisqu’elle n’était pas pratiquée. Nous nous sommes simplement mis en phase avec nos propres réalités, avec notre attachement à la vie et à la personne humaine. C’est ce que nous sommes au fond.

Qu’en est-il des conditions d’incarcération et des droits des personnes détenues ? Ont-elles, pour certaines, exercé leur droit de vote à l’occasion des récentes élections présidentielles?

La maison d'arrêt de Brazzaville –  africtelegraph.com
La maison d’arrêt de Brazzaville – africtelegraph.com

Si ce sont des personnes en détention préventive ou dont les peines ne sont pas assorties de peines privatives de  droits civiques, alors on crée les conditions pour qu’elles participent. A ce stade, je ne peux pas vous dire si nous l’avons fait ou pas. C’est un processus. Mais ce que je sais par exemple, c’est que la population carcérale en âge scolaire est encadrée. Il s’agit là de mon domaine. Elle passe des examens d’état. Elle bénéficie de cours d’encadrement dans leur milieu carcéral et lorsque nous organisons des examens d’état, nous proposons des jurys spécifiques pour cette population qui passe les examens d’état dans  l’environnement carcéral. C’est pour vous dire que si nous le faisons pour la formation, nous pouvons également le réaliser pour le vote, si toutes les conditions sont réunies.

Passons à l’article 24 qui garantit la liberté de croyance et de conscience, en ces termes : « (…) L’usage de la religion à des fins politiques est interdit. Toute manipulation, tout embrigadement des consciences, toutes sujétions de toutes natures imposées par tout fanatisme religieux, philosophique, politique ou sectaire sont interdits et punis par la loi ». Plusieurs religions se côtoient et s’expriment librement au Congo. Quel regard portez-vous sur la France qui se débat pour venir à bout de la pratique de la religion à des fins politiques, notamment de l’islamisme religieux ?

Chaque peuple fait en fonction de son histoire. Et puis mon statut ne me permet pas de donner un point de vue particulier à ce sujet, s’agissant d’un pays étranger. Je préfère me réserver. Je regrette simplement qu’ils puissent mettre en opposition deux courants religieux, privilégier un au détriment de l’autre. La France sait bien qu’en comparaison avec les USA par exemple, qui ont toujours su mettre la religion au centre des politiques, il y’a une grande différence dans la mise en œuvre des politiques de développement. On sait que la religion nécessite simplement d’être encadrée, la liberté de croyance est garantie, nul ne peut être embarqué dans une forme de croyance particulière. Il faut laisser chacun choisir la religion et le culte qui lui convient le mieux.

Il s’agirait plutôt de la pratique de la religion à des fins politiques …

Je ne vois pas en quoi il s’agirait de la pratique d’une religion à des fins politiques. Je ne pense pas qu’il y ait des autorités politiques qui se soient servis de la religion pour parvenir à leur fin. Ce n’est pas cela. C’est le politique qui dénonce ou déplore un certain nombre d’actes religieux. Je pense que c’est la lecture qu’on pourrait faire de la situation qui prévaut en France. Au lieu simplement de corriger et de débattre de ces actes religieux, on va jusqu’à stigmatiser un courant religieux. Mais comme je l’ai dit, je préfère de ne pas me prononcer sur cette question au risque d’ingérence.

Passons donc à l’article 25 qui garantit la liberté de l’information et de la communication et interdit la censure. Pourtant, politiques et journalistes sont censurés, incarcérés ou exilés. Comment justifiez-vous cela ?

Je ne pense pas qu’il y ait ici des journalistes arrêtés pour leur opinion. Sinon toute la presse satyrique que nous voyons ici n’existerait pas. Faites le tour et demandez à certains de vos confrères de vous faire parvenir tous les numéros qui sortent chaque semaine. Il n’y pas un journal – en dehors peut-être des Dépêches de Brazzaville et La semaine africaine, d’obédience confessionnelle de l’église catholique – qui fasse sans stigmatiser, ostraciser et même dénigrer les institutions de la République et les gestionnaires de ces institutions. Mais, ces journalistes ne sont pas inquiétés. Bien entendu, être journaliste ne vous exonère pas de l’obligation de respecter la vie privée, de l’obligation de protéger l’Etat et les valeurs de la République.

Le général Mokoko, toujours incarcéré - tv5mondeinfo
Le général Mokoko, toujours incarcéré – tv5mondeinfo
Okombi Salissa, incarcéré à Brazzaville
Okombi Salissa, incarcéré à Brazzaville

Parmi d’autres, comment expliquez vous alors le cas de Ghys Fortuné Bemba Dombé ? Que s’est-il passé avec ce journaliste ?

Lui-même sait ce qui s’est passé. Je crois que c’est en 2016. Il devait simplement rendre compte de la façon dont il s’est approprié les déclarations faites à l’époque par le dirigeant d’un mouvement rebelle ayant engagé le pays dans une violence meurtrière. Quelqu’un qui incite au génocide, au crime contre l’humanité et Ghys Fortuné Dombé reproduit les déclarations de ce fugitif. Imaginez : le 11 septembre 2001, les USA sont attaqués au cœur de New-York, un coupable désigné ou présumé se cache et pendant qu’il est recherché, vous avez un journaliste américain qui rend compte des déclarations de guerre de Ben Laden. Pensez-vous qu’un tel journaliste n’aurait pas été interpellé ? Si aux USA un tel journaliste pouvait être laissé libre  dans ce contexte là, nous ne pouvons faire comme eux.  Si c’est cela qui nous est reproché dans l’interpellation, à l’époque, de Ghys Fortuné Dombé, nous assumons. Les autorités congolaises n’avaient pas d’autres choix que de l’interpeler, ne serait-ce que pour qu’il dise comment il s’était procuré cette déclaration de guerre de Frédéric Bintsamou Ntumi à l’époque.

Il est écrit à l’article 55 : « Tout citoyen, élu ou nommé à une haute fonction publique, est tenu de déclarer son patrimoine lors de sa prise de fonction et à la cessation de celle-ci, conformément à la loi ».  Cette obligation est-elle  respectée par les autorités congolaises ciblées ?  Et vous-même, monsieur le ministre ?

La loi venait d’être adoptée, je pense courant 2019-2020. Comme vous le savez, la loi n’a pas d’effet rétroactif. Etant en fonction depuis 2016, il ne nous a pas été fait obligation de déclarer le patrimoine, mais nous sommes à la fin d’un mandat. Les nouveaux dirigeants qui vont êtres nommés à la suite de l’élection brillante de Denis Sassou N’Guesso, bien entendu, déclareront leur patrimoine conformément à la loi qui a été adoptée. A l’époque nous ne l’avions pas fait parce que la loi qui devait déterminer les fonctions et les modalités de déclaration n’étaient pas encore adoptée. Maintenant que la loi existe, bien entendu, les dirigeants le feront volontiers.

Le préambule justifie la promulgation de cette nouvelle constitution par « l’impérieuse nécessité de concilier les valeurs universelles de la démocratie et les réalités politiques, sociales et culturelles nationales ». Quelles sont les innovations qui prennent en compte ces réalités ? Quelle application concrète de ces réformes?

Un conseil consultatif des Sages et des notabilités Traditionnelles, un conseil national de Dialogue,  ce qui n’existe pas dans les constitutions où l’on ne voit que des pouvoirs classiques. Nous avons intégré dans notre constitution la notion de dialogue et de partage. Pour le constituant congolais, nous avons des valeurs universelles de la démocratie : la liberté d’expression, le suffrage universel, etc. Mais nous avons des valeurs traditionnelles qui nous sont propres. Chez nous, nous disons qu’il faut créer des conditions de partage. Et le partage se manifeste par un renforcement de la décentralisation, mais aussi par la possibilité qu’a le président  de nommer dans son équipe des personnes du bord politique opposé. Lorsque le président de la République nomme Claudine Munari au gouvernement, cette dernière incarnait bien l’opposition. Nous avons bien vu ensuite que lorsqu’il s’était agi de se repositionner en 2016, ils ont quitté le navire ! Et lorsque le président nomme le Premier ministre, chef du Gouvernement, avant que celui-ci n’intègre le PCT en 2016, Clément Mouamba était cadre de l’UPADS ! Le président aurait pu continuer à travailler avec lui sans qu’il n’ait été obligé d’intégrer le PCT. Le président a travaillé avec Nycéphore Fylla de Saint-Eudes, membre d’un parti de l’opposition ! Ce sont là des subtilités qui ne peuvent exister que dans nos régimes.

Qu’apportent ces réformes aux populations ?

Lorsque les jeunes et les femmes sont organisés au sein de conseils consultatifs avec la facilité pour eux d’émettre leurs opinions sur la manière de déterminer et de conduire les politiques qui les concernent, ils prennent part à une partie des prérogatives de l’Exécutif, puisqu’ils y sont associés.  On voit que la France est obligée de le faire au travers d’un certain nombre de mécanismes, qui n’étaient pas prévus.

Nous avons intégré dans notre constitution la notion de dialogue et de partage, des valeurs traditionnelles qui nous sont propres.

Nous avons vu l’attitude de l’Exécutif français lorsqu’il s’est agi de gérer la crise des « gilets jaunes » en organisant ce qu’ils ont appelé un « Grand débat national », en janvier 2019 et qui a duré plusieurs semaines, invitant les citoyens à exprimer leurs attentes sur certains sujets de la vie nationale. Nous étions donc en avance en ayant institutionnalisé le dialogue et organisé ainsi le débat permanent.

Mais alors, comment expliquez-vous le mur qui existe encore entre l’Etat et les populations?

Simplement par le fait que les populations ont l’impression que les dirigeants sont déconnectés des réalités et de leurs problèmes. Pourtant, le rôle d’un parti politique, par exemple, c’est de transformer les aspirations du peuple en politique réelle de l’Etat. Or, les peuples ont l’impression de ne pas être associés à l’élaboration de ces politiques. C’est pour cette raison que nous avons créé ces espaces qui ne sont pas que de simples organes de représentativité ou de représentation. Mais c’est pour que nos populations se sentent responsables des politiques qui sont mises en œuvre. En participant à ces organes de réflexion, elles peuvent émettre des idées, qui sont sensiblement les mêmes que les politiques avaient déjà conçues.

Un cas concret de la participation des populations à l’élaboration des politiques?

Un exemple concret dans la manière dont Denis Sassou N’Guesso a organisé sa campagne présidentielle toute récente: il élabore un projet de société et il commande une consultation nationale en utilisant les réseaux sociaux, qui sont les outils de la jeunesse et soumet les idées de son projet de société à la validation de cette jeunesse. Et les jeunes valident ces idées. Au travers de leurs réponses, l’ordre de priorité a été établi.  Les jeunes n’ont pas montré leur désaccord parce qu’ils se sont rendus compte de la similitude des idées, et ont établi leurs priorités. Ainsi, ils ont eu le sentiment d’avoir participé à l’élaboration de la politique. C’est une façon de les associer, ce que nous n’avions pas hier.

La gouvernance électorale étant un processus, nous l’améliorons tous les jours mais en fonction de notre culture.

Quel régime  politique au Congo ?  Aucune indication dans la constitution…

Je ne pense pas qu’il y ait une Constitution qui détermine expressis verbis  son régime, qu’il soit de nature parlementaire,  présidentiel, ou semi-présidentiel. La nature du régime est déterminée par les juristes, par la doctrine. Un exemple : lorsque les constituants de Philadelphie invoquent un régime de séparation rigide et d’équilibre des pouvoirs, avec la Constitution américaine de 1787 qui a aménagé un exécutif confié au seul président, ils ne lui ont donné aucun nom. Il a fallu attendre l’anglais Walter Bagehot pour qualifier le régime politique de régime présidentiel, alors que les américains ne savaient  pas eux-mêmes ce qu’était un régime présidentiel et ne l’avaient pas qualifié comme tel.

«Le régime consensualiste dans la constitution congolaise du 25 octobre 2015 commentée article par article», nouvelle publication d'Anatole Collinet Makosso. - Pagesafrik.info
«Le régime consensualiste dans la constitution congolaise du 25 octobre 2015 commentée article par article», nouvelle publication d’Anatole Collinet Makosso. – Pagesafrik.info

Lorsque l’on s’inspire des modèles établis, on pourrait tirer une conclusion…

S’il faut partir des modèles établis, nous avons un régime relativement hybride, celui qu’on appelle semi-présidentiel, pas présidentiel au sens américain du terme,  pas parlementaire au sens britannique du terme, mais qui a une sorte d’équilibre et de séparation souple des pouvoirs avec une collaboration à l’intérieur des pouvoirs.  Ce qu’on a attribué au régime français, avec ceci que l’Exécutif est bicéphale, contrairement à l’Exécutif américain, où tous les pouvoirs sont entre les mains du président.  Le système français comme le système congolais a un Exécutif bicéphale avec un président de la République chef de l’Etat et un Premier ministre, chef du Gouvernement qui conduit la politique.

Nous étions les premiers à instituer le conseil national de Dialogue, le conseil national des Sages et des notabilités Traditionnelles.

C’est ce qui donne le caractère semi-présidentiel. Or dans le régime congolais, le président de la République participe aussi à la détermination de la politique économique et sociale avec le Premier ministre et les deux la conduisent ensemble, de façon concertée et consensuelle. C’est ce qui m’a conduit modestement à dire que notre régime est un régime consensualiste, qui va au-delà du régime semi-présidentiel. Il est d’autant plus consensualiste qu’intervient un autre pouvoir, le pouvoir moral, incarné par tous les conseils consultatifs mis en place dans la Constitution.

Un dernier mot ?

Simplement vous remercier et dire que mon pays a une belle histoire qui n’a rien à envier aux autres peuples. Il nous appartient simplement de construire notre propre histoire, de la consolider,  et bien entendu, de l’exporter, de faire en sorte que notre histoire, notre culture soient aussi des références pour d’autres peuples. C’est ce que nous nous efforçons de construire. Déjà la réforme constitutionnelle de 2015 a apporté d’énormes avancées. Nous étions les premiers à instituer le conseil national de Dialogue, le conseil national des Sages et des notabilités Traditionnelles. La Côte d’Ivoire en avait emboité le pas. Ce qui revient à dire que nous pouvons continuer à impacter et que les autres peuples s’inspirent de ce que nous avons fait.  La gouvernance électorale étant un processus, nous l’améliorons tous les jours mais en fonction de notre culture. La démocratie se modèle en fonction de l’histoire de chaque peuple, sa culture. Nous sommes en avance et nous devons continuer à le montrer.

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Juriste d’affaires Ohada / Journaliste-Communicant/ Secrétaire Générale de l'Union de la Presse Francophone - UPF section France