Laïcité et séparatismes en France : les mesures s’étendent-elles aux Evangéliques ?

Le projet de loi « confortant la laïcité et les principes républicains » a été présenté le 9 décembre, date anniversaire de la loi fondatrice de la laïcité en 1905, au Conseil des ministres. Le président Macron ne citant que le radicalisme islamique, on s’est interrogé sur le sort des protestants Evangéliques, souvent la cible  des médias français mal intentionnés, une stigmatisation de la différence ancrée dans les moeurs françaises, que le président de la République veut tenter d’enrayer. 

Par Carmen Féviliyé – @FeeFeviliye

Depuis l’assassinat de Samuel Paty, c’est  une version durcie qui a été présentée:  un  titre entier est consacré à la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites sur Internet. Le projet de loi reste une offensive d’Emmanuel Macron pour contrer les groupes « hostiles à la République » et instaurer un « islamisme des lumières » en France, tel annoncé  le 2 octobre aux Mureaux.

«Les communautés protestantes évangéliques ne sont pas concernées», avait réagi dans un communiqué publié la veille du discours de présentation  du 2 octobre aux Mureaux, le pasteur Christian Blanc, président du Conseil National des Evangéliques de France (CNEF), assurant néanmoins comprendre la démarche du gouvernement dans sa lutte contre les séparatismes dans le cadre du maintien de l’ordre public.

Exprimer nos opinions, même religieuses, ne nous fait en rien sortir de la légalité

« En phase avec la loi de séparation des Églises et de l’État et les autres principes sur lesquels repose la laïcité, les communautés protestantes évangéliques respectent les règles de la République. Au sein du CNEF, elles se sont dotées d’un service juridique commun et entretiennent avec les autorités nationales et locales une relation sincère et transparente. Parce qu’ils sont convaincus et animés d’une joie missionnaire, les protestants évangéliques partagent facilement sur leur foi. Exprimer nos opinions, même religieuses, ne nous fait en rien sortir de la légalité. Si notre société est sécularisée, et tend à être aseptisée du religieux, elle n’en demeure pas moins régie par le droit, protecteur des libertés de tous », avait-t-il précisé, avant de rappeler que les protestants évangéliques sont « très attachés aux libertés fondamentales, notamment de pensée, de conscience, d’expression et de religion».

Le CNEF veut des modalités de transition plus souples

Le projet de loi vise à lutter contre les séparatismes et les atteintes à la citoyenneté, en renforçant le respect des principes républicains et en modifiant les lois sur les cultes. Même si Jean Castex a affirmé que ce projet de loi « n’est pas contre les religions », mais plutôt un texte « garantissant qu’aucune religion ne puisse être au-dessus des lois », les nouvelles mesures soumettent toutefois les associations cultuelles à une contraignante procédure. Ce qui a amené le CNEF a présenté ses principaux avis au gouvernement pour des amendements.  Un travail d’approfondissement et de propositions  qui se poursuivra jusqu’à l’adoption du texte, peut-on lire sur le site de l’organisation.

@CNEF
@CNEF

Dans ses avis au gouvernement, le CNEF a déploré le fait que « dans l’objectif de mieux surveiller l’islamisme politique », les autorités françaises n’accablent les associations qui devraient désormais faire constater tous les 5 ans par la préfecture la cultualité réelle de leur association. S’ajoute à cela la nécessité de tenir une comptabilité professionnelle qui va obliger à la déclaration des dons éligibles aux reçus fiscaux. Concernant les petites associations,  le CNEF demande que celles-ci « soient exonérées de ces contraintes et que les modalités de transitions soient souples : les églises protestantes, étant les plus utilisatrices de la loi de 1905, se trouvent les plus pénalisées par cette évolution», a relevé l’organisation dans son communiqué précisant que « la pratique associative souple de certaines églises, notamment les plus petites, risque d’en être fort perturbée »

Par ces nouvelles mesures, les autorités françaises visent la transparence financière. Ainsi, par exemple, les fonds de dotation, outil de financement du mécénat, seront mieux contrôlés par les préfets. L’administration fiscale pourra vérifier que seules les associations qui remplissent les conditions prévues par la loi peuvent bénéficier de la générosité du public et délivrer des reçus fiscaux. Il est à noter, par ailleurs, que déjà de nombreuses grandes églises évangéliques respectent les conditions édictées, comme celle de la tenue d’une comptabilité professionnelle avec commissaire aux comptes.

@CNEF
@CNEF

Le CNEF  s’est dit satisfait que le projet de texte donne aux associations cultuelles d’avoir des immeubles dit de rapport, si ceux-ci sont acquis gratuitement (par des legs par exemple), immeubles qui pourront donc apporter des recettes aux associations. Jusqu’à maintenant, les associations cultuelles en étaient exclues.

La police du culte serait une entrave à « la doctrine chrétienne du péché, du couple et de la famille »

Les nouveaux motifs de dissolution, jusque-là limités aux faits de terrorisme, de racisme et d’antisémitisme, sont désormais étendus aux faits d’atteinte à la dignité de la personne ou de pressions psychologiques ou physiques. Le projet de loi actualise la  police du culte, un organe de surveillance contre toute incitation à la haine, à la violence, à la discrimination, à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre des personnes. La peine en cas de violation commise dans un lieu de culte est portée à sept ans de prison.

L’État ne peut s’immiscer dans l’organisation des cultes et avoir un avis sur la théologie

Cette actualisation de la police des cultes ne conforte pas les intérêts du CNEF. L’organisation a alerté  et a relevé que de telles mesures seraient une atteinte « à la doctrine chrétienne du péché, du couple et de la famille (…), au contenu des messages prêchés dans les églises et toutes activités des églises. Si les protestants évangéliques veulent absolument respecter la dignité humaine de chaque personne et les aimer toutes, le CNEF estime que l’État ne peut s’immiscer dans l’organisation des cultes et avoir un avis sur la théologie. De plus, si nous acceptons que la liberté d’expression permette la critique des religions, la liberté des religions de critiquer ou de choquer parfois l’opinion majoritaire doit aussi exister, en réciprocité. » 

Contre le repli communautaire et la stigmatisation, Emmanuel Macron  veut agir sur la dimension profane des français

Emmanuel Macron @ Elysée
Emmanuel Macron @ Elysée

Une volonté du président français qui veut mettre fin aux amalgames, préconisant  de  « mieux comprendre les civilisations  qui cohabitent » sur le sol français, par « l’apprentissage de leurs langues (…) » :  « Nous devons dans notre République à la fois les reconnaître, les exalter, les faire vivre dans le cadre républicain, avec les locuteurs certifiés au plan linguistique qui respectent la charte de la République », ceci dans le but de « faire émerger une meilleure compréhension des religions ». Une affirmation du président Macron qui justifie son annonce de la création d’un Institut scientifique d’islamologie et de postes supplémentaires dans l’enseignement supérieur, dans la recherche sur la civilisation musulmane, sur le Maghreb, le bassin méditerranéen et  aussi l’Afrique.

Faire émerger une meilleure compréhension des religions

Emmanuel Macron a encore pointé du doigt une autre forme de séparatisme qui mine la France : son «passé  colonial » qui influence les citoyens français issus de l’immigration du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. C’est « un séparatisme qui se nourrit de certains discours importés d’ailleurs mais aussi de tabous que nous avons-nous-mêmes entretenus, faisant miroiter leurs origines avec notre histoire », a relevé  Emmanuel Macron  dont les propos ont été plus explicites dans son interview accordée au média en ligne Brut, le 4 décembre : « Nos échecs, c’est le ressentiment qui est né dans une partie de la population pour des raisons culturelles, historiques, c’est-à-dire l’échec de l’intégration à la française. On a laissé à nos jeunes et moins jeunes l’idée que ils n’étaient pas une part de France” , au profit de “celles et ceux qui font de l’idéologie séparatiste”. 

La France n’a pas pensé son passé

” Il y’a aussi le ressenti économique et social. Ces discriminations à l’embauche et au logement nourrissent ces ressentiments.», tout comme le fait que la « France n’a pas pensé son passé ». Pour le président français, cette faiblesse explique le lien entre la décolonisation et les questions identitaires des jeunes : « nous avons des millions de nos jeunes et des plus jeunes qui sont issus du continent africain, et je pense qu’on n’a pas su leur parler, on n’a pas très bien reçu et traité leurs parents. »

Eglises évangéliques en France: la dimension profane des médias français alimente la stigmatisation dénoncée par Emmanuel Macron

Le pasteur Samuel Peterschmitt - Eglise Porte Ouverte de Mulhouse @Topchrétien
Le pasteur Samuel Peterschmitt- Eglise porte Ouverte de Mulhouse @Topchrétien

C’est un fait persistant qui doit alerter et interpeller les autorités françaises sur la base du nouveau projet de loi. Un état de fait que Nathalie Schnoebelen, directrice de Communication de l’église évangélique La Porte Ouverte Chrétienne, avait déjà déploré et expliqué par « une méconnaissance du fait religieux. »  La directrice de Communication avait expliqué ceci à la presse : « Quand on connaît mal le fait religieux, quand on connaît mal les évangéliques, quand on connaît mal, c’est suspect (…), les chrétiens évangéliques sont devenus suspects». Cet acharnement  médiatique bien assis et dirigé notamment contre les pasteurs charismatiques de communautés évangéliques interroge et pourrait s’expliquer par l’absence de culture du journaliste français sur les problématiques religieuses et les écrits relatifs à la foi.

C’est l’église évangélique qui est ciblée parce que perçue comme étant conservatrice de valeurs morales

Cette fausse presse s’érige en juge, par des reportages et articles de presse à charge, des propos repris hors contexte, au mépris des règles déontologiques.  Les pasteurs sont décrits comme des « séducteurs  manipulant les foules », des « extorqueurs de fonds », ou comme responsables de la dissémination de la Covid 19 en France.

Yvan Castanou, pasteur principal des églises Impact Centre Chrétien @ ICC
Yvan Castanou, pasteur Principal des églises Impact Centre Chrétien @ ICC

Parmi d’autres pasteurs,  Yvan Castanou, pasteur des églises Impact Centre Chrétien,  en est également la cible : un article paru en mai sur franceinfo du journaliste Jean-Loup Adenor, intitulé « La pandémie de Covid-19, une aubaine pour les théoriciens de la fin du monde » avait repris hors contexte les propos du pasteur prononcés en début de crise sanitaire  et présentés comme incitant au non-respect des mesures barrières. En réaction, le pasteur Yvan Castanou avait affirmé sur sa  chaine You Tube : « L’homme naturel ne peut pas comprendre les choses de l’Esprit(…) Le fait d’être guetté, suspecté, calomnié, harcelé, diffamé, est une persécution ». Pour lui, « en vérité, c’est l’église évangélique qui est ciblée parce que perçue comme étant conservatrice de valeurs morales. »  Un état de fait qu’avait relevé et déploré en 2015, Étienne Lhermenault, pasteur de la Fédération baptiste de France et ancien président du CNEF, en ces termes : « Depuis plusieurs années, se développe une suspicion médiatique à l’égard des évangéliques, accusés de pratiquer un prosélytisme mêlant fanatisme, manipulation et harcèlement, nous n’avons pas à nous excuser de témoigner de notre foi sur la place publique. »

Pourtant l’église évangélique en France reste un modèle d’apprentissage du vivre-ensemble et d’insertion sociale qui doit être connu et relayé par les médias

 Le discrédit sur les églises évangéliques occulte son impact positif sur les personnes vivant sur le sol français.  Les multiples actions sociales et solidaires de ces communautés ne sont pas sues de l’opinion dont la perception est continuellement manipulée par un grand nombre de journalistes de la presse écrite ou de l’audio-visuelle. « Les communautés protestantes évangéliques sont bien intégrées dans les territoires où elles sont établies, elles sont facteurs de cohésion et de mixité sociales par de multiples actions sociales et solidaires de proximité, par l’expression d’opinions diverses, une condition de toute démocratie pluraliste», avait réagit Christian Blanc à l’occasion de la présentation de l’actuel projet de loi sur les séparatismes.

Jeunes d'Impact @ ICC
Jeunes d’Impact @ ICC

L’église évangélique reste le lieu de socialisation, d’accueil qui permet aux personnes, notamment issues de l’immigration, de s’intégrer en France. Les évangéliques jouent un rôle important dans l’intégration et la réussite  sociale, militant pour insérer leurs membres dans la société. Sa particularité se trouve dans  son caractère transculturel : on y trouve  une multitude de nationalités, de pays, d’origines qui apprennent à vivre ensemble. Elle est structurée de telle manière que chaque fidèle puisse s’engager concrètement. Pasteurs, responsables et membres de la communauté sont tous actifs dans la vie de l’église, également engagés dans la vie sociale et politique de la France.

Les prédications mettent l’accent sur l’épanouissement personnel

Sébastien Fath, historien français spécialisé dans l’étude du protestantisme évangélique, analyse le succès des églises évangéliques par la “mise en place de sociabilités très chaleureuses (…) : c’est l’image de la famille que l’on n’avait pas. Les prêches des pasteurs et les prières s’inscrivent dans une pertinence, un lien concret avec la vie des fidèles (…) Cela donne l’impression d’une prise en charge symbolique. ” Au sein d’Impact Centre Chrétien à Boissy-Saint-Léger, où nous avons mené notre enquête, les prédications du pasteur Principal Yvan Castanou sont basées sur la connaissance et la pratique des écrits de la bible. Pour les membres, “c’est une source d’épanouissement personnel” qui explique  les réussites sociales. Un succès  qui s’explique “par la pratique du  Service” :  en servant à l’église, en écoutant et mettant en pratique les écrits bibliques, plusieurs témoignent avoir vu leur caractère et leur vie changés, leur vie familiale et professionnelle épanouies.

@ ICC
@ ICC

Alors que certains ont découvert leur vocation, la pratique de la Bible a apporté à d’autres de devenir des collaborateurs productifs et efficaces. Beaucoup  ont réussi surmonter des obstacles et atteindre leurs objectifs, comme des créations d’entreprises sources d’emplois en France,  des réussites scolaires et universitaires.  S’y ajoutent de nombreux programmes gratuits de formation et d’ateliers pratiques dans divers domaines.  A Impact Centre Chrétien, comme dans plusieurs autres églises évangéliques, l’action sociale est élargie en France et au-delà.

Une formation gratuite @ ICC
Une formation gratuite @ ICC
Des membres d'Impact Centre Chrétien en aide aux personnes vulnérables à Paris @ ICC
Des membres d’Impact Centre Chrétien en aide aux personnes vulnérables à Paris @ ICC

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A propos CARMEN FEVILIYE 808 Articles
Juriste d’affaires Ohada / Journaliste-Communicant/ Secrétaire Générale de l'Union de la Presse Francophone - UPF section France