Laïcité et séparatismes en France – Christian Blanc : “On trouvera toujours des gens malveillants qui voudront associer les Evangéliques à des sectes”

Le président du Conseil National des Evangéliques de France (CNEF), a répondu à nos questions sur le rôle du CNEF et la stigmatisation des églises évangéliques en France. Une interview recueillie par téléphone depuis le confinement de mars, actualisée et alignée au dossier de la Rédaction sur le projet de loi en France confortant la laïcité et les principes républicains, présenté au Conseil des ministres le 9 décembre.

Propos recueillis par Carmen Féviliyé – @FeeFeviliye

AAFC : Vous êtes président du Conseil national des évangéliques de France, quel est le rôle et l’influence de cette institution en France?

Christian Blanc : Tout d’abord, il faut comprendre pourquoi le Conseil existe et d’où ça vient. Il se trouve que dans les années 90 des articles dans la presse ont paru qui ont stigmatisé les Evangéliques en les décrivant comme ceux qui veulent gagner le monde, avoir une place prépondérante dans le monde. Les Evangéliques se sont alors interrogés pour savoir comment répondre à ce genre d’articles.  La Fédération Evangélique de France et l’Alliance Evangélique de France ont entrepris de se retrouver dans de grandes rencontres. Ensuite, cette réunion s’est élargie à d’autres mouvements évangéliques. C’est comme cela que les assemblées de Dieu ont été invitées. Ces réunions ont eu lieu à la chapelle de l’institut de Nogent- sur-Marne au début des 2000. Il y’a eu une demande de pardon entre divers mouvements Evangéliques et à partir de là, le CNEF a commencé à prendre naissance. D’autres réunions ont suivi et on a pensé qu’il fallait que les Evangéliques se regroupent, se retrouvent et s’organisent pour avoir plus d’influence, pour avoir une voix plus audible. C’est ainsi que le 15 juin 2010 le CNEF a été créé pour rendre les Evangéliques plus lisibles et plus visibles dans la société française.

Vous êtes un interlocuteur du ministère de l’Intérieur. Sur la question de la stigmatisation par la presse dont sont largement victimes les églises évangéliques, comme l’a été la Porte Ouverte à Mulhouse, vous avez rencontré l’ancien ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner. Le directeur général du CNEF a également participé à la rencontre virtuelle du 21 avril à laquelle prenait part le président Emmanuel Macron. Un discours pour empêcher cette stigmatisation. Quel en est le résultat concret ?

Je n’ai pas participé à cette réunion et je n’ai pas le contenu exact des propos qui ont été tenus. Tout ce que je veux dire c’est que du côté du CNEF nous avons pris à cœur d’aider cette église évangélique de Mulhouse, d’une part parce qu’elle est membre du CNEF. Il y’a eu une aide, un conseil au niveau de la communication, par le directeur de Communication du CNEF. Et  puis sur les réseaux sociaux, le CNEF a essayé de défendre La Porte Ouverte de Mulhouse et chaque fois que j’ai été interviewé, j’ai souligné en effet que tout ce qui avait été dit n’était pas toujours juste et bien fondé, loin de là. On a eu le sentiment que l’église évangélique de la Porte Ouverte avait été prise pour cible et elle devenait comme un bouc émissaire.

Je pense que c’est des voix qui se font entendre avec des motivations que j’ignore, mais je trouve qu’en France il y’a aussi d’autres voix qui défendent les évangéliques.

Pourtant cette stigmatisation a persisté :  Impact Centre Chrétien et son pasteur Yvan Castanou ont été pris pour cible par la presse le 17 mai, par un article intitulé « La pandémie du Covid-19, une aubaine pour les théoriciens de la fin du monde », publié sur franceinfo. Cet article  a présenté les « témoins de Jehovah, catholiques traditionalistes ou évangéliques » comme des « séducteurs » se servant de la crise sanitaire pour servir « la théorie de fin du monde », les accusant de manipuler, d’effrayer les foules, et les présentant comme responsables de la dissémination du nouveau coronavirus en France, par incitation au non respect des gestes barrières. Cet article a fait l’objet de plusieurs commentaires. Est-ce – que le CNED a été saisi de cette affaire?

Non, je n’ai pas été saisi de cela. Il y’a eu en effet beaucoup d’articles. Mais je veux dire là aussi que cet article ne s’appuie que sur des cas évangéliques.  Ce qui n’est pas la position du CNEF qui n’a jamais tenu de langage apocalyptique. Il y’a plusieurs lectures qui peuvent être faites sur cette pandémie. Entre les plus modérés et les plus extrémistes, il y’a tout un éventail et il peut y avoir en effet quelques cas ou quelques voix qui peuvent y voir la fin du monde. Mais à mon sens, ce n’est pas la fin du monde.  C’est plutôt les événements des temps de la fin.  La fin du monde, ce n’est pas pour tout de suite. Après vous avez tout un ensemble d’Evangéliques qui sont dans une position beaucoup plus modérée voyant dans les événements qui arrivent, entre-autre cette pandémie mais pas que, des moments où nous sommes appelés à réfléchir sur le sens que nous donnons à la vie, à l’économie etc.

Yvan Castanou, pasteur principal des églises Impact Centre Chrétien (ICC), a été cité hors contexte. Son discours  a été incompris et mal interprété comme l’ont été d’autres pasteurs, dans cet article. Ce qui met à mal leur responsabilité et les expose à des enquêtes en vue de poursuites pénales, et par conséquent à la fermeture des églises. C’est un acharnement, notamment des pasteurs jouissant d’une notoriété, qui inquiète et interroge. Partagez-vous cette analyse qui démontre clairement une manipulation de l’opinion?

De toute évidence dans tout ce qui a été dit et écrit, je pense que ça a eu pour but d’attirer les regards ailleurs que sur les vraies responsabilités, certainement. Si on prend l’exemple de la Porte Ouverte à Mulhouse, de tout évidence les organisateurs de l’événement du mois de février étaient tout à fait dans les clous pour dire les consignes de l’époque. Aucune consigne nationale n’avait été donnée à ce moment là et donc le rassemblement a eu lieu sans trop s’inquiéter. Même le fils médecin du pasteur  était bien placé pour le savoir.  Il est fort possible que s’il y avait eu connaissance d’un certain nombre de consignes en amont, l’événement aurait été remis à plus tard ou reconsidéré. Le fait de cibler la Porte Ouverte de Mulhouse montre qu’on veut attirer les regards sur un événement et puis pendant ce temps, l’opinion publique s’oriente par cette direction. C’est clair que ça a eu une incidence sur les opinions.

On trouvera toujours des gens malveillants qui veulent associer les évangéliques à des sectes.

Serait-ce une forme de discrimination envers la pratique du culte, notamment envers les  chrétiens évangéliques ?

On ne peut pas parler de « christianophobie ». On n’en est pas là en France. De temps en temps on ne dit pas du bien des Evangéliques mais je reconnais quand même qu’il y’a eu d’autres médias qui ont défendu la Porte Ouverte comme Paris match. Il y’a eu plusieurs voix qui se sont élevées pour rétablir la vérité. Je pense que c’est des voix qui se font entendre avec des motivations que j’ignore, mais je trouve qu’en France il y’a aussi d’autres voix qui défendent les Evangéliques. Je pense qu’il ne faut pas se « victimiser » en disant que nous sommes discriminés, tout va mal, non.  Je ne pense pas qu’il faut se mettre dans le camp des victimes. Il y’a des pays où c’est pire que ça.

Oui, mais cela pourrait être l’étincelle… 

Je ne saurais pas le dire. Oui, bien-sûr que la médisance, la calomnie, la manipulation, ce sont des armes, pas glorieuses, mais ce sont des armes.

Le service pastoral auprès des parlementaires a pour but de faire connaître l’évangile parmi les hautes instances de l’Etat.

L’article a démontré que l’Unadfi (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu) a été à plusieurs reprises saisie par des particuliers à l’occasion des propos du pasteur Yvan Castanou sur le coronavirus. Le 15 juin, nous avons contacté la structure qui n’a pas confirmé cette information. Sur le coronavirus, la structure n’a noté aucun signalement de la part des particuliers, mais plutôt des journalistes alertés par des confrères…

Je ne saurais répondre. Je n’ai pas suivi le discours du pasteur  Yvan Castanou. Je suis mal placé et je n’ai pas assez d’éléments pour vous donner une réponse objective.

Nous avons tenté de joindre Anne Josso, secrétaire générale de la Miviludes, qui est la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, rattachée désormais au ministère de l’Intérieur par décret n° 2020-867 du 15 juillet 2020. Citée dans l’article, Anne Josso a émis une inquiétude sur le témoignage de guérison d’une chrétienne survenue pendant le message du pasteur Yvan Castanou. Pourquoi cette inquiétude ? Que répondez- vous à ceux qui comparent les églises évangéliques aux sectes ?

Les mots sont parfois associés ! Ca dépend des voix qui tiennent ce langage. Derrière il y’a une motivation, un mobile. D’une manière générale, les églises évangéliques membres du CNEF ne sont pas considérées comme des sectes par le Bureau des cultes avec qui nous avons de bons contacts. D’ailleurs, si le CNEF a été créé, c’était pour sortir de cette association de mots « secte et Evangélique ». Le CNEF aujourd’hui a une visibilité et au niveau du Bureau des cultes, on est reçu chaque fois qu’on le demande. On trouvera toujours des gens malveillants qui veulent associer les Evangéliques à des sectes. C’est vrai qu’aussi, parfois, il peut y avoir ici ou là, des propos d’Evangéliques qui inquiètent.  Mais les Evangéliques membres du CNEF sont bien vus. On n’a pas rencontré de soucis avec le Bureau des cultes.

Notre ligne de conduite, c’est celle que donne l’apôtre Pierre : défendre avec douceur notre Foi, notre croyance. 

Les médias ont de l’influence. Que pensez-vous de l’amalgame de certains journalistes qui connaissant mal le fait religieux et les Evangéliques ? N’est ce pas là mettre à mal votre mission d’évangélisation ?

Peut-être. Mais en tant qu’Evangéliques nous sommes confiants quand même. Dans le message de l’Evangile, en favorisant l’annonce et la proclamation, il continuera à se répandre. C’est l’apôtre Paul qui était en prison : à l’époque on a dit qu’il était lié comme un malfaiteur, et c’est vrai que ça été le cas et il a fini décapité.  Mais le message de l’Evangile n’a pas été arrêté pour autant. Je dis souvent qu’on peut mettre à mal les chrétiens, on peut mettre à mal les prédicateurs, mais on ne peut pas arrêter le message de l’Evangile, la puissance du message de l’Evangile. C’est pas possible. D’un point de vue humain, c’est sûr que ça ne favorise pas, mais après, d’un point de vue croyant, je dis que notre Foi dépasse ces difficultés là. Si je repends l’un des livres des apôtres qui raconte  la propagation de l’Evangile de Jérusalem à Rome,  le récit montre qu’il y’a pas mal d’obstacles, mais le texte des apôtres se termine sur un mot qui est quand même parlant : « sans obstacles ». Donc cela veut dire qu’on peut malmener les chrétiens, on peut malmener les prédicateurs, mais le message continue sa course.

On peut mettre à mal les chrétiens et les prédicateurs, mais on ne peut arrêter  la puissance du message de l’Evangile

Que faire face à ces pratiques journalistiques diffamatoires ? Saisir une institution comme le Conseil supérieur de l’audiovisuel ?

Non, pour le moment on n’est jamais arrivé là. On choisit plutôt d’autres démarches, déjà auprès du Bureau des cultes, du ministère de l’Intérieur, des démarches auprès de journalistes avec lesquels on a de bonnes relations. Avant d’en arriver là, je pense qu’il faut voir comment on peut faire autrement, d’une manière plus diplomatique, plus sage. Des qu’on commence à utiliser de grands moyens, on complique les choses, et on leur donne une plus grande importance encore et cela ne sert pas automatiquement la cause. Je pense que notre ligne de conduite, c’est celle que donne l’apôtre Pierre : défendre avec douceur notre Foi, notre croyance. Je pense que c’est la bonne ligne de conduite.

Vous assurez un service pastoral auprès des parlementaires. Le CNEF a-t-elle une influence sur les parlementaires et leaders d’opinions?

Oui, nous y avons un service pastoral mais je ne sais pas si nous avons de l’influence. Le pasteur qui est en charge de ce service pastoral auprès des parlementaires a les contacts avec les parlementaires, il parle avec eux, sur un point de vue pastoral avant tout. Maintenant, il y’a des parlementaires qui, avant de voter des lois, l’interrogent pour savoir quel est le positionnement Evangélique sur le plan éthique, sur le plan justice-sociale, etc. A ce moment là, il leur répond. Après, je ne sais si cela les influence beaucoup dans leur vote, je n’en sais rien. Mais, ce pasteur a eu à cœur de porter le témoignage de l’Evangile auprès des politiques. C’est sa vraie motivation. Il n’est pas influenceur d’opinion, mais sa motivation, c’est que le message de l’Evangile ne soit pas porté comme les mauvaises langues le disent, auprès des malheureux, des démunis, que des gens à problème. L’Evangile est faite pour toutes les couches sociales de la population. Certes, les gens en difficulté, mais il est fait aussi pour les artistes, les sportifs, les décideurs, les politiques, et cela correspond tout à fait à note vision de favoriser l’annonce de l’Evangile, même dans ces sphères là. Mais pour l’influence, je n’ai pas fait étude sur le sujet, ni aucune statistique. Le service pastoral auprès des parlementaires n’a pas pour but d’influencer l’opinion.  Il a pour but de faire connaître l’Evangile parmi les hautes instances de l’Etat.

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Juriste d’affaires Ohada / Journaliste-Communicant/ Secrétaire Générale de l'Union de la Presse Francophone - UPF section France