Lydie-Patricia Ondziet : “L’Afrique subsaharienne doit être à la rescousse de ses propres langues”

Lydie-Patricia Ondziet
Lydie-Patricia Ondziet

Une analyse sur la présence et l’importance des langues africaines, de notre contributrice Lydie-Patricia Ondziet, présidente de l’association la Trinité, membre de l’association Panafricaine d’Aquitaine, membre de la Plateforme des associations féminines de développement

« Nous aspirons tous au triomphe de la notion d’espèce humaine dans les esprits et dans les consciences, de sorte que l’histoire particulière de telle ou telle race s’efface devant celle de l’homme tout court ».  En nous inspirant de cette pensée de Cheikh Anta Diop, nous pouvons nous interroger sur l’origine de  l’homme, mais en même temps, puisque l’humanité entière a pour ancêtre commun le premier homme ou bien la première femme qui était négroïde, toutefois par réciprocité l’humanité ne l’est-elle pas un peu ? A cet effet, pourquoi continuons-nous à dérouter et à vouloir raisonner encore sur ce que l’on sait déjà, à savoir que l’Afrique est le berceau de l’humanité. Toutefois qu’en est-il des langues africaines ?

Le continent africain compte aujourd’hui 1,2 milliard d’habitants. D’ici 2050, cette population devrait avoisiner les 2,5 milliards. D’après toujours les statistiques, elle pourrait quadrupler pour atteindre 4,4 milliards en 2100, avec près de 2000 langues dont les plus parlées seraient selon l’ordre
suivant : l’arabe (plus de 150 millions de locuteurs), le kiswahili (plus de 100 millions), l’amharique (entre 28 et 50 millions), le haoussa (entre 18 et 50 millions), le yorouba (30 millions), le lingala (25 millions), l’oromo (25 millions), l’ibo (24 millions), le kinyarwanda et le kirundi (entre 15 et 20 millions), l’isizoulou et l’isixhosa (respectivement 10 et 8 millions de locuteurs). En effet, l’Académie africaine des langues (Acalan) créée en 2001 par l’Union africaine (UA) dont le siège se trouve à Bamako au Mali,
envisage de créer un atlas des langues africaines qui lui serait propres, ce monopole étant réservé jusque-là, à la revue Africana luinguistica publiée par le Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC) de Tervuren à Bruxelles.

L’importance de l’Afrique subsaharienne d’adopter une langue commune

Il y a 63 pays et territoires en Afrique dont 55 États indépendants sont représentés à l’ONU. Avec plus de 1,2 milliard d’habitants, l’Afrique est le deuxième continent le plus peuplé après l’Asie. Il est important de savoir, en effet que le continent connaît la plus forte croissance démographique. D’ici 2050 plus de la moitié de la population aura moins de 25 ans.

L’UA unit le continent. Cette organisation fait remonter sa conception au panafricanisme. Les principaux acteurs qui ont formé  l’ancienne Organisation de l’unité africaine (OUA), actuelle UA,  sont devenus par la suite chefs d’État.  Trois d’entre eux étaient issus de l’Afrique – subsaharienne, entre-autres Kwame Nkrumah qui devint le premier président du Ghana ; Sékou Touré,  de Guinée-Conakry ; Léopold Sédar Senghor, du Sénégal. Les deux autres venaient de l’Afrique du Nord : Gamal Abdel Nasser, d’Égypte et Ahmed Ben Bella d’Algérie. Ainsi les dirigeants nord-africains ont joué un rôle tout aussi important dans la formation de l’Union africaine.

Les langues africaines ont une longue histoire marquée par l’oralité, la traite négrière et la colonisation, l’écriture.

Dans sa diversité culturelle, l’Afrique possède des langues qui appartiennent à cinq grandes familles  linguistiques à savoir des langues langues afro-asiatiques, des langues nilo-sahariennes, des langues nigéro-congolaises, des langues khoïsan et des langues austronésiennes. Les langues africaines ont par ailleurs une longue histoire marquée par trois facteurs : l’oralité, la traite négrière et la colonisation, l’écriture. L’oralité a constitué le caractère principal du développement et de la vitalité des langues africaines pendant des millénaires. La langue a été le premier moyen de communication et de diffusion de la culture en Afrique. Le rôle social des griots, véritables chantres de la tribu, a été considérable. Même si les traites esclavagistes d’Orient et d’Occident ont profondément meurtri la culture africaine, même si la colonisation a fait peser la menace de l’acculturation, nous pouvons affirmer que l’Afrique noire a survécu sur le plan démographique, mais aussi identitaire. Nul n’ignore le rôle de l’écriture dans la promotion des langues dominantes, qu’elles soient occidentales ou non.

Pour ce qui est de la diversité linguistique, l’Afrique garde la première place

On ne peut parler de langues africaines sans s’émouvoir de leur érosion. L’Afrique noire a perdu environ un tiers de ses habitants entre 1880 et 1930, ce qui aurait généré la disparition de nombreuses langues locales. Aujourd’hui en termes du nombre de langues, l’Afrique occupe la deuxième place derrière l’Asie et, en termes  de population et de superficie, la troisième place après l’Asie et l’Amérique. Pour ce qui est la diversité linguistique, elle garde la première place avec sept familles linguistiques, comparé au reste du monde qui en compte seize. Pourtant si l’on considère les vingt langues les plus parlées dans le monde, aucune n’est de l’Afrique subsaharienne. En effet, l’Afrique du nord « blanche » a pour langue commune l’arabe.

La langue la plus parlée en Afrique subsaharienne demeure le swahili

Quant à l’Afrique subsaharienne « noire », elle possède plusieurs langues maternelles et nationales, dont la plus parlée sur cette partie du continent demeure le swahili. Il serait opportun que l’Afrique subsaharienne, qui abrite quarante-huit États, adopte le swahili comme une langue commune de communication et que cette langue soit reconnue dans toutes les institutions internationales.

La pratique des langues maternelles, une nécessité absolue

L’héritage colonial est lourd, nous avons perdu une bonne partie de notre identité propre et avons hérité des langues coloniales dont nous continuons de subir l’influence. Nous subissons d’autres influences à travers la globalisation. Toutes ces influences nous font oublier peu à peu qui nous sommes et notre langue maternelle. En réalité, la langue maternelle a un rôle primordial dans la construction de l’identité, car elle est indissociable de la pensée. En effet, c’est lorsqu’il commence à parler que l’enfant pense. Mais bien avant d’être capable de parler, donc de penser, l’enfant entend la langue de ses parents et comprend, ou plutôt, établit des liens entre les actions de sa mère et les mots qu’elle prononce. Dès les premiers mois de sa vie, l’enfant est très sensible à ce qui l’entoure : aux sons, aux couleurs et aux formes.

La langue maternelle a un rôle primordial dans la construction de l’identité

Toutefois, les langues, avec leurs implications complexes d’identité, de communication, d’intégration sociale, d’éducation et de développement, revêtent une importance stratégique pour les peuples et pour la planète. Du fait des processus de la mondialisation, elles se trouvent désormais de plus en plus menacées. Or lorsque les langues s’éteignent, la diversité culturelle, qui fait la richesse de l’humanité, s’estompe aussi.

Une écolière sénégalaise dans une école de Dakar. SEYLLOU DIALLO/AFP
Une écolière sénégalaise dans une école de Dakar. SEYLLOU DIALLO/AFP

Avec les langues en effet, ce sont des perspectives, des traditions, une mémoire collective et des modes uniques de pensées et d’expressions, autant de ressources précieuses pour garantir un avenir meilleur, qui se perdent. La transmission d’une langue et de sa culture passe souvent par l’éducation. C’est la raison pour laquelle le système scolaire en matière de langues a une influence importante sur le développement d’une langue.

Le cas du Congo-Brazzaville

La République du Congo est un état indépendant depuis le 15 août 1960. Cependant elle a pour langue officielle le français et deux langues nationales: le lingala et le kituba, d’ailleurs enseignées à l’université Marien Ngouabi. Le pays compte à lui seul plus de 50 langues maternelles sur les 6000 qui sont encore parlées dans le monde. Ceci étant, ces langues maternelles parlées par les différentes ethnies du Congo sont regroupées en plusieurs grands groupes: Kongo, Teke, Tsangui, Punu, Mbosi, Mbete, Kota, Bongili, Makaa, Kaka, Bobangui. Toutefois, le fait d’être liées à l’identité, toutes les langues congolaises ont une valeur capitale. Car une nation est
constituée d’une communauté, des langues, une identité.

Les langues maternelles que l’on apprenait aux enfants dès leur naissance sont actuellement de moins en moins parlées, au profit des langues étrangères

Il serait judicieux que les parents apprennent les langues maternelles à leurs enfants, car, les langues que l’on apprenait aux enfants dès leur naissance sont actuellement de moins en moins parlées, cela au profit des langues étrangères. Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’elle menace l’avenir des langues maternelles, une richesse culturelle dont dispose le Congo et qui risque de disparaître si l’on ne prête pas attention, car une langue qui n’est ni parlée, ni écrite est vouée à disparaître. A cet effet, l’Unesco qui a décrété le 21 février Journée internationale de la langue maternelle, a lancé un appel pour que le potentiel de l’éducation multilingue soit reconnu partout, dans les systèmes éducatifs et administratifs, dans les expressions culturelles et dans les médias, le cyberespace et les échanges commerciaux.

Journée internationale de la langue maternelle fr.unesco.org
Journée internationale de la langue maternelle fr.unesco.org

L’Etat devrait donc chercher à faire des langues congolaises des outils de développement et amorcer une intégration progressive de ses langues nationales dans le programme officiel d’éducation. Ainsi, les écoles primaires bénéficieront de l’expérimentation d’une nouvelle pédagogie qui consiste à commencer par enseigner en langue nationale et à introduire progressivement le français. Certaines écoles ont introduit le lingala et le kituba à titre d’apprentissage. Cette expérience peut déjà être considérée comme une avancée. Les pouvoirs publics devraient quant à eux, envisager la mise en place d’un système d’écriture pour la conservation de ces langues.

Artistes musiciens des deux Congo
Artistes musiciens des deux Congo

La République du Congo devrait capitaliser l’avantage qu’elle possède avec d’autres pays avec lesquels elle a en partage le lingala comme langue. Effectivement, le lingala compte parmi les 10 langues africaines les plus parlées à ce jour. Cette langue tire son avantage du fait du génie créateur des artistes musiciens qui l’ont exporté à l’international par la rumba congolaise, et relayé par sa diaspora qui compte environ 13  millions de locuteurs dans les deux Congo, en Centrafrique et en Angola.

Le Congo devrait capitaliser l’avantage qu’elle possède avec d’autres pays avec lesquels elle a en partage le lingala comme langue

Nous reconnaissons que ces artistes musiciens qui se succèdent et ne déméritent pas, ont compris l’importance que revêt une langue. A travers leur musique ils sauvegardent en même temps la culture et l’identité d’un peuple. Ainsi, ils contribuent énormément au rayonnement du continent. Nous ne manquerons pas de signaler également l’émergence du numérique, car à travers les mobiles de recherche tels que Google, l’apprentissage d’une langue devient à la portée de tous.

Les Bantous de la capitale
Les Bantous de la capitale
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A propos CARMEN FEVILIYE 808 Articles
Juriste d’affaires Ohada / Journaliste-Communicant/ Secrétaire Générale de l'Union de la Presse Francophone - UPF section France