Congo – Blanche Bouity : “Il faut associer l’agriculture à la santé”

Nous avons échangé avec la présidente de l’ONG internationale “Ayhupedela” basée au Congo, sur la pandémie à coronavirus, la problématique du masque et l’importance des plantes  sur la santé. Un entretien AAFC.

Propos recueillis par Carmen FEVILIYE /@FeeFeviliye

AAFC : Qu’est ce que et que veut dire “Ayuphedela” ? C’est un nom qui ne laisse pas indifférent…

Blanche Bouity : “Ayuphedela” est un mot espagnol qui veut dire « Aide aux orphelins et aux personnes démunies ». Nous intervenons en Amérique latine et en Afrique. En Amérique latine parce que le Mexique est ma deuxième terre d’adoption, où ma première mission  s‘est déroulée dans un orphelinat dans lequel nous avons apporté une aide multiforme. Le siège social de l’association se trouve au Congo.

Par rapport à la crise sanitaire à Covid 19, quel est l’apport de votre association au Congo ?

“Ayhupedela” s’est très vite mobilisée pour confectionner des masques avec l’aide d’une donatrice qui soutient notre association depuis plus de dix ans. Nous avons pour objectif de confectionner 2000 masques, que nous offrons aux démunis afin que toute personne en situation de précarité et sa famille se protègent.

Nous avons commencé avant même la décision de déconfinement à Brazzaville. Grâce aux tutoriels, nous avons fabriqué des modèles de masques canard et rectangulaires. Nous avons donc acheté la matière première et nous avons pu confectionner à ce jour plus de 800 masques. Et lorsque le pouvoir en place a pris en charge la confection des masques, aujourd’hui nous manquons de tissus pour poursuivre la confection des masques. Mais nous pensons très rapidement reprendre la fabrication.

Comment avez-vous identifié ces personnes, ces familles démunies ?

Nous sommes, depuis près de treize ans, une aide de proximité. Nous avons avec des comités, une coopérative de femmes agricoles avec qui nous cultivons des tubercules de manioc vers le quartier 45 et donc, nous avons déjà un répertoire à nous des personnes en précarité. Et d’ailleurs, lorsque nous offrons des masques à toutes ces personnes, nous ne nous basons pas sur le nombre des personnes du foyer. Nous offrons toujours au-delà de ce nombre, une dizaine, afin qu’à leur tour, ces personnes puissent en distribuer.

Le contrat est moral : ils ont reçu gratuitement, à eux de faire de même. Nous avons ainsi offert plus d’une centaine de masques.  Il est très important de souligner que, de plus en plus, nous serons tenus de vivre au quotidien avec les masques. Ce ne sera plus comme avant, au niveau des rassemblements, de nos réunions familiales etc. Ce qui fait qu’aujourd’hui tout le monde se lance dans la confection des masques. Et c’est très bien.

Le Congo avait déjà opté pour le port obligatoire du masque. Commet vous-voyez vous dans le temps ?

Le masque sera incontournable comme le chapeau que chaque citoyen congolais porte lorsqu’il fait chaud ! Le masque sera comparable à ce parapluie que chacun porte à chaque forte pluie. Le masque sera comparable à notre mouchoir de poche. Nous ne savons pas comment le monde va se porter les mois à venir. La seule chose que les scientifiques nous demandent, c’est la protection ! La protection par les masques, le lavement des mains, la distanciation. Moi je pense que les regroupements doivent être bannis. Je disais d’ailleurs à mes enfants que le monde ne sera plus comme avant. Au cours des mariages ou lors des veillées funèbres les gens doivent se retrouver en nombre restreint et respecter  les consignes sanitaires.

Nous devons revisiter notre marche

Cette pandémie donne aux Africains l’opportunité de devenir  ordonné, discipliné. Le port du masque est certes devenu obligatoire, mais je signale qu’en Afrique, avec la chaleur,-  même si actuellement, du fait de la saison sèche, les températures sont douces –  c’est deux fois plus difficile encore de porter le masque ! Mais nous devons nous y mettre malgré la chaleur qui règne. C’est pour cela que je lance encore un appel à la discipline car cela permet d’assimiler le port du masque. Nous devons revisiter notre marche, notre démarche. On supporte mieux le masque dans le calme que dans l’agitation et l’extravagance.

Parmi les actions d’”Ayhupedela”, la promotion de plantes africaine. Que pensez-vous de l’utilisation contre la Covid 19 de la tisane à base d’artemisia importée de Madagascar, des formules des tradipraticiens de votre pays, ou de la chloroquine ?

“Ayhupedela” a la chance d’être partenaire de la pharmacie La Clémence à Brazzaville, gérée par notre secrétaire générale. Cette pharmacie est homologuée pour la vente de l’artemisia, cette plante qui fait des miracles. Nous avons des plants d’artemisia que nous souhaitons introduire de la même manière que nous avons introduit le moringa dans le Mayombe, pour faire que l’artemisia et le moringa deviennent  des plantes qu’on pourrait utiliser au quotidien. Je lance un appel pour que dans nos potagers, nous possédions des arbres de moringa et des arbustes d’artemisia.

L’Afrique est le berceau de l’agriculture-santé

Nous avons compris qu’il faut associer l’agriculture à la santé. On ne peut plus se contenter de cultiver sans chercher à se soigner. Et l’Afrique est le berceau de l’agriculture-santé parce que nous avons des forêts où nous trouvons plusieurs plantes comme le kinkeliba, l’artemia ou le moringa. Nous parlons certes des ces deux plantes, mais il y’a aussi les feuilles de lantana, les feuilles de corossol, les feuilles de bissap, les graines de la marrantes, l’ail, le gingembre, le curcuma et bien d’autres.  Pendant la saison sèche, au marché Total, on trouve des lots de curcuma et de gingembre à 1 euro ! Nous sommes gâtés et c’est un bonheur de vivre en Afrique surtout en ce moment où on a besoin de soigner les malades. Nous avons cette richesse et il nous faut juste que nous ouvrons à savoir comment doser ces plantes. Aujourd’hui, ce qui tue nos concitoyens, c’est le surdosage, le non-respect de la posologie.

Il appartient à l’humanité de se saisir de la phytothérapie africaine

A propos de la chloroquine, j’ai suivi le Pr Didier Raoult. Je pense que les Marseillais ont beaucoup de chance et que  la France devrait être fière d’avoir un professeur qui a su mettre un tel traitement à la disposition des citoyens français. Mais, l’Afrique bénéficiait déjà de cette chloroquine depuis près de soixante-dix ans ! L’Afrique soigne depuis la nuit des temps le paludisme avec la chloroquine ! Les paludéens chroniques et les militaires français prennent la chloroquine comme prophylactique, les Africains vivant dans les zones où règne le paludisme prennent aussi cette molécule en prévention ou en traitement curatif.

Certes, il y’a toujours des effets secondaires sur tel ou tel produit. Mon père par exemple était paludéen et  pendant près de douze ou quinze ans,  il n’a pris  que la chloroquine. J’ajoute encore qu’enfants, on nous donnait chaque dimanche une cuillère à café de chloroquine écrasée et dilué dans l’eau. Je me souviens qu’on détestait ce goût amer… Je pense que c’est un traitement, associé à l’azithromycine, qu’il faut rendre disponible aux malades de la Covid 19.

 Misez-vous sur les plantes ?

Avec les plantes, on peut faire des dizaines et des dizaines de médicaments différents pour chaque maladie, guérir de tout y compris de maladies réputées chroniques ou incurables. Mais l’Occident guidé par ses intérêts financiers, a orienté vers par des actes comme la chimiothérapie, qui est dangereuse, comme tout médicament de l’industrie pharmaceutique. Il appartient à l’humanité de se saisir de la phytothérapie africaine pour repenser toute la thérapeutique en bénéfice de la santé et pas des intérêts financiers. L’agriculture est nécessaire à la santé, tout comme la santé exerce une influence sur l’agriculture. Ce lien doit conduire à plus de coordination entre les deux secteurs pour espérer atteindre l’objectif d’un bon état de santé.

Des tradipraticiens congolais affirment que les plantes n’ont d’effet sinon que de les associer aux esprits de mort, que les remèdes trouvés par cette voie ont été inspirées par l’au-delà. Et des personnes refusent de se faire soigner. Qu’en pensez-vous ?

Il faut laisser les morts en paix là ils sont. L’humain a des capacités de faire des recherches. Nos ancêtres, lorsqu’ils ont su découvrir les plantes médicinales qui soignent encore aujourd’hui plusieurs maladies, n’invoquaient pas les esprits des morts. C’était plutôt une transmission de génération en génération. Le bémol en Afrique c’est qu’on n’écrit pas nos mémoires. Nos anciens meurent avec toutes leurs connaissances ! J’aurais aimé que ce tradi praticien parle plutôt d’un recueil ou d’une recette qu’il a reçue d’un grand-père que de mettre en avant les morts. C’est une question mitigée que je ne maîtrise pas.

Le bémol en Afrique, c’est qu’on n’écrit pas nos mémoires

Je sais qu’il y’a des mystères en Afrique. Je sais aussi que nous avons des traitements puissants mais dont nous ignorons les posologies et exagérons la consommation. Rapprochons nous des professionnels qui savent doser.

Qu’en est-il des bains de vapeurs et autres inhalations ?

Les bains de vapeur que nous pratiquons chez nous en Afrique avec des feuilles ont toujours eu des effets à libérer les bronches, comme par exemple le mélange de feuilles d’eucalyptus, et de manguier. Ceux qui vivent en Europe ont remplacé ces plantes par de l’eau chaude, du citron, du menthol. Et certains disent que, contre la Covid 19, l’inhalation leur a fait du bien.

Et au Mexique ?

Nous n’avons pour l’instant pas d’actions au Mexique. Depuis 13 ans je ne me suis rendue que deux fois au Mexique où j’ai apporté une aide multiforme à un orphelinat dans un centre catholique. Vous savez aller en mission nécessite de l’argent. Malheureusement, nous n’avons pas assez de donateurs aujourd’hui. Au cœur d’Ayhupedela, nous avons une seule personne qui nous soutient et qui souhaite rester anonyme.

C’est un appel à d’éventuels donateurs ?

Oui. On a toujours besoin de donateurs, de partenaires, de bénévoles. On a besoin que les gens nous soutiennent quel qu’en soit la forme, pour être plus présents sur le terrain auprès des populations congolaises.


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A propos CARMEN FEVILIYE 808 Articles
Juriste d’affaires Ohada / Journaliste-Communicant/ Secrétaire Générale de l'Union de la Presse Francophone - UPF section France