Ludovic Ngatsé : « Nous améliorons le système d’imposition congolais de manière à le rendre attractif et le plus moderne possible »

  Ludovic Ngatse @youtube.com
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CONGO  – Le ministre délégué en charge des Finances et du Budget a accepté de répondre à nos questions  sur les travaux d’amélioration du climat des affaires au Congo, sur fond de crise sanitaire. Plusieurs chantiers menés de front pour tenter de relever les défis socio-économiques du fait du coronavirus et répondre aux exigences internationales. Ludovic Ngatsé informe qu’actuellement le Congo est propice aux investissements et appelle à les diversifier. Un facteur important pour une relance durable de l’économie congolaise. Une interview exclusive AAFC

Propos recueillis par Carmen FEVILIYE / @FeeFeviliye

AAFC : Vous vous êtes rapidement attelé aux réformes initiés par Calixte Nganongo, le ministre en charge des Finances et du Budget. Vous êtes apprécié par votre expérience, votre pragmatisme. On vous voit mettre en œuvre ces réformes avec beaucoup de dynamisme, de disponibilité, de simplicité et de rigueur. Vous êtes au four et au moulin… Quel est votre secret ?

Ludovic Ngatse : Merci de votre intérêt sur moi pour l’action que je mène auprès du ministre Nganongo. Effectivement, je peux paraître comme quelqu’un qui court derrière un objectif à atteindre, celui d’essayer de mettre en œuvre les mesures de réformes entreprises depuis quelques années et surtout de faire face à la crise. Je sors du secteur privé. Je suis donc habitué à travailler, à m’organiser dans des environnements difficiles. Mais, c’est vrai que le secteur public m’est totalement différent. De ce fait, j’essaie de m’organiser et de mener à bout les différents projets qui nous tiennent à cœur, aussi bien le budget et la mobilisation des ressources à travers les régies financières, que les questions liées à la gestion des relations avec les bailleurs de fonds, à quoi s’ajoutent toutes les questions urgentes liées au financement de la pandémie qui occupe tout le gouvernement.

Concernant les entreprises, vous avez annoncé la baisse de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt global forfaitaire. Ces mesures sont-elles suffisantes à elle-seules pour les aider à faire face à la crise?

Naturellement, ces mesures ne sont pas suffisantes à elles-seules. Elles sont complétées notamment par des mesures financières qui consistent principalement à permettre des reports et la signature de moratoires avec l’administration fiscale et douanière. Il s’agit là de grands sacrifices faits par l’Etat pour aider les entreprises à passer ce cap difficile. Nous y avons, par ailleurs, additionné des dispositions pérennes comme la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés (IS) qui passe de 30% à 28% et du taux de l’impôt forfaitaire global, l’impôt synthétique des PME, qui passe de 7,5% à 5%. C’est quand même une baisse considérable. Ce sont là des mesures qui vont permettre aux entreprises de continuer à se développer malgré les difficultés liées à la crise.

Qu’en est-il des mesures relatives aux investissements étrangers, notamment celles consistant à  les sécuriser, les faire revenir et en attirer d’autres ? 

Descente de Ludovic Ngatse dans les services des Impôts et des Domaines de Pointe-noire et Kouilou@ cpctv.info
Descente de Ludovic Ngatse dans les services des Impôts et des Domaines de Pointe-noire et Kouilou@ cpctv.info

Globalement notre stratégie est de ramener l’imposition à des niveaux acceptables. Concernant l’impôt sur les sociétés, on vise à revenir vers des taux moyens autour des 25%. Pour les petites entreprises, on est plus qu’à un impôt synthétique de 5%. Nous sommes en train de revoir aussi le code général des impôts pour essayer de traiter toutes les questions qui font que c’est devenu assez compliqué, depuis ces dix dernières années, où on a superposé un tas de mesures qui se contredisent les unes des autres. A côté de la réforme du code des impôts, nous travaillons sur la mise en place d’un livre de procédure fiscale. Toutes ces mesures visent à améliorer le climat des affaires et le système d’imposition congolais de manière à le rendre le plus moderne possible et attractif pour les investisseurs. Ceci dit, nous avons d’autres dispositifs qui favorisent l’investissement, liés à la charte des investissements qui, nous le pensons, sont assez favorables. Mais au-delà de cela, c’est plutôt améliorer le climat général des affaires. Ce sont des mesures globales au niveau du gouvernement qui sont en cours et qui devront voir le jour progressivement.

Justement, en termes d’attractivité, le Congo n’est pas côté dans les milieux d’affaires étrangers. Parmi les raisons avancées qui freineraient les investissements : le harcèlement fiscal, comme vous venez de l’évoquez ; le manque de fluidité des conventions fiscales ; la rigidité du code des investissements. Quelle autre appréciation faites-vous de cette frilosité?

Mission de travail du ministre délégué au budget et aux Finances à Pointe-Noire@youtube.com
Mission de travail du ministre délégué au Budget et aux Finances à Pointe-Noire@youtube.com

C’est vrai que dans le classement Doing business nous ne sommes pas assez bien notés. Cela est dû à des critères qui sont beaucoup moins liés au système d’imposition. C’est assez complexe car on y trouve beaucoup de facteurs qui ne sont  pas forcément ceux liés à la fiscalité ou au système douanier.

Pour ce qui est du harcèlement fiscal, il faut surtout ne pas se fier à la rumeur parce que dans la réalité, nous pensons que notre système fiscal est assez bien positionné par rapport au système du pays voisin et des pays francophones, même s’il y’a des pays anglophones qui ont des fiscalités assez particulières. C’est pour cela que nous réfléchissons, non pas à augmenter les taux d’imposition, mais plutôt à élargir l’assiette de manière à baiser le taux moyen d’une façon générale, principalement le taux de l’IS. Aujourd’hui, et comme déjà dit, nous passons à 28% et nous allons vers 25 %, alors que la moyenne en Afrique francophone est au-dessus de 30%.

Pour le reste, nous sommes en train de faire le nécessaire pour rentrer dans les critères du Doing business. Il y’a un plan d’action général qui concerne plutôt d’autres paramètres comme le commerce frontalier, l’accès à la propriété, l’accès au crédit, que les impôts seuls. Des groupes de travail interministériels sont en train de travailler pour que progressivement on arrive à des niveaux de notation en matière de Doing business qui soient plus acceptables.

Nous sommes en train de faire le nécessaire pour rentrer dans les critères du Doing business

Ces dernières années, de gros efforts ont été faits, notamment en matière d’infrastructures. Notre pays est désormais accessible quasiment à tous les pays voisins, à l’exception de la Centrafrique. Aujourd’hui on peut partir en voiture à Libreville, à Yaoundé, au Cabinda vers l’Angola, etc., ce qui ne se faisait pas. En matière de droit de propriété, nous allons créer un guichet unique d’accès à la propriété pour accélérer la délivrance des titres fonciers. Beaucoup de choses sont en cours. On en verra les fruits très bientôt.

Revenons au harcèlement fiscal : vous dépeignez une atmosphère apaisée, pourtant  les entreprises réunies au sein d’Unicongo, par exemple, continuent de s’en plaindre …

Oui, d’accord… Mais elles ne se plaignent pas lorsqu’elles ont une pause fiscale de 4 mois ! Pendant 4 mois, du 1er avril au 25 août pour l’exercice 2019 et au 1er juillet pour les exercices antérieurs, elles n’ont pas été contrôlées. Personne ne s’est plaint pour dire pourquoi on ne reçoit plus d’inspecteur chez nous ! D’ailleurs, nous avons constaté que toutes les mesures que nous avons mises en œuvre ont été généralement détournées. Quand, par exemple, on donnait un délai d’un mois pour la déclaration, les entreprises n’ont pas suivi. Ce qui démontre que finalement ils n’avaient rien déclaré.

Nous allons créer un guichet unique d’accès à la propriété pour accélérer la délivrance des titres fonciers

Nous avons des recettes fiscales qui ont été divisées pendant la période Covid 19.  Mais si on prend par exemple les déclarations du mois d’avril – qui concernent en fait le mois de mars où la pandémie n’était pas encore développée au Congo –  on aurait dû avoir une baisse peut-être de 10 à 5%. Vous voyez bien que les contribuables n’ont pas joué le jeu, et donc, naturellement nous sommes obligés de continuer à avoir un niveau de recettes acceptable pour financer les dépenses publiques et ne pas, par exemple, reconduire la mesure qui consistait à faire une pause aux contrôles fiscaux. Ceci dit, pour les mois restants, nous allons être attentifs à une utilisation raisonnable des contrôles, à éviter tout abus. Mais il faut que les contribuables sachent qu’ils doivent déclarer leurs impôts normalement.  S’ils le font, ils n’auront pas à redouter les contrôles fiscaux.

Ludovic. Ngatse - Associe - EY | LinkedIn cg.linkedin.com
Ludovic. Ngatse – Associe – EY | LinkedIn cg.linkedin.com

Vous êtes d’abord expert-comptable avec une longue expérience comme administrateur général du cabinet international EY. Vous avez donc largement accompagné la majorité des investisseurs étrangers installés au Congo. Cela va dans les deux sens : ils vous reprochent un certain nombre de choses, et vous à votre tour, que leur reprochez-vous ? 

Ce que je peux dire c’est qu’on peut reprocher beaucoup de choses à l’administration comme  d’être mal organisée, que les contrôles sont intempestifs – dans le sens où parfois, tous les services de douane, des impôts, du commerce, d’administration du travail, etc. – arrivent au même moment et le même jour dans les entreprises. Cela crée beaucoup de frustrations. Mais  généralement, lorsqu’on vient investir au Congo, on bénéficie d’une assistance et d’un environnement favorable, puisqu’on peut négocier les conventions d’établissement qui permettent d’avoir des exonérations importantes pendant les 5 premières années de travail. Et même après on peut avoir des réductions d’impôts. Donc je pense qu’à ce niveau on n’a pas à s’inquiéter parce que les résultats le montrent : il y’a toujours beaucoup de demandes et de projets d’investissements au Congo. Mais le problème est que ces investissements sont souvent orientés vers les mêmes secteurs, alors que nous voulons diversifier notre économie. On voudrait que les investisseurs s’intéressent à d’autres secteurs tels que le secteur minier, agricole ou touristique. Pour moi le cadre fiscal est assez attractif. 

Le problème :  les investissements sont souvent orientés vers les mêmes secteurs, alors que nous voulons diversifier notre économie.

Hormis la diversification que vous attendez d’eux, les investisseurs sont avant tout contribuables. Que leur reprochez-vous à ce niveau ?

Je pense que les investisseurs font ce qu’ils veulent. On n’a vraiment pas grand-chose à leur reprocher. Généralement, lorsqu’ils sont bien accompagnés par des structures adaptées, telles que les grands cabinets internationaux ou les conseils fiscaux congolais, il n’y a pas de problème. Ce qu’on pourrait  toutefois leur reprocher, c’est de rechercher exonérations sur exonérations. On ne peut pas travailler dans un pays et exiger des infrastructures et un cadre, sans vouloir payer les impôts. On ne peut pas s’installer et rester là et se dire qu’on ne va pas payer les impôts.

Du fait de l’urgence économique, quelle nouvelle orientation pour les investissements au Congo dans la diversification que vous recherchez?

Nous disons que c’est le moment favorable pour venir investir parce qu’il y’a beaucoup d’opportunités à saisir dans beaucoup de secteurs, comme les mines, l’agriculture, le pétrole, le tourisme, l’industrie. Le Congo a d’innombrables superficies arables qui vont de la vallée du Niari à la frontière centrafricaine. Tout est à faire. C’est un pays qui offre aujourd’hui beaucoup de facilités, de potentialités. Nous avons des infrastructures qui sont aux normes, nous avons une route qui va du nord du pays à la mer. C’est le moment où jamais de venir travailler parce que d’ici là on reviendra à la croissance. Si on peut mettre en œuvre ces investissements maintenant, dès que la croissance reviendra, on cueillera les fruits.

Vous aviez été en tournée dans les administrations fiscales en vue d’inciter à renflouer les caisses de l’Etat congolais en impôts et taxes. Qu’en est-il de celles relevant du secteur pétrolier qui alimentent la plus grande partie des caisses  de votre pays?

 Pour ce qui est de la fiscalité pétrolière, l’impôt principal reste la tax oil. Cet impôt dépend des cours du pétrole et aujourd’hui, malheureusement, ces cours ne sont pas favorables. Nos recettes ont été divisés par 4 entre le début de la crise et aujourd’hui. Et c’est pour cela que le pays est vraiment en difficulté. Nous travaillons donc pour mobiliser les autres recettes, notamment les recettes fiscales et la douane.

Ludovic Ngatse à sa nomination @finances.gouv.cg
Ludovic Ngatse à sa nomination @finances.gouv.cg

La dette du Congo auprès des créanciers publics internationaux, estimée à 182 milliards Fcfa, est suspendue.  Vous venez de terminer une longue bataille remplie de péripéties. A qui le mérite ?

 Le résultat des négociations avec le Club de Paris ont visé essentiellement à permettre au pays de ne pas rembourser – sur la période de validité du 1er mai au 31 décembre –  la dette qu’on aurait pu payer pour cette période. On a  ainsi libéré des ressources qui vont nous permettre de faire face aux dépenses investies, à savoir les dépenses sanitaires, sociales et celles liées à la pandémie. Aussi curieux que cela puisse paraître,  le grand mérite revient au chef de l’Etat lui-même. Il a été le chef d’orchestre pour cette action. C’est lui qui a organisé l’équipe qui a travaillé pour saisir les différents créanciers du Club de Paris et de présenter le dossier. Je suis vraiment sincère car c’est lui-même qui nous a informés que le dossier était en bonne voie, et qu’on avait accédé à l’Initiative.  Sur le côté financier, notamment des relations avec l’extérieur, c’est le chef de l’Etat et l’équipe du ministère des finances qui gèrent le dossier.

Pourquoi une suspension et pas une annulation ?

Ce sont les procédures actuelles du Club de Paris et du G20. Probablement que des analyses complémentaires sur des études seront faites par rapport aux situations et aux besoins des pays. La suspension n’est qu’un premier pas. Nous pensons que d’autres initiatives vont suivre pour conduire probablement vers des annulations. En effet, la dépression étant importante, nous redoutons que beaucoup de pays ne soient plus en mesure demain de faire face au paiement régulier de leur dette. Et là, des initiatives complémentaires pourraient suivre pour les accompagner, particulièrement en faisant des abandons et des réductions de dettes. Mais pour l’instant, nous ne parlons que de suspension.  Mais certains présidents, notamment le président Français,  Emmanuel Macron, avait déjà évoqué dans ses propositions de la nécessité d’annuler certaines dettes de certains pays.

En faisant les comptes, le Congo dispose aujourd’hui de 182 milliards de Fcfa du fait de la suspension de la dette, de plus de 2,3 milliards de Fcfa du Fonds national de solidarité et du Fonds Covid-19, des fonds venant des différentes aides financières des institutions africaines et européennes… Peut-on rester optimiste quand aux défis urgents du Congo ?

Si tout cela est comparé aux défis, à nos besoins en face, cette somme reste loin d’y satisfaire. Dans les dépenses communes, nous avons les salaires, celles liées à la santé qui sont énormes, toutes les dépenses de fonctionnement des structures de l’Etat. Le budget en termes de dépense de notre pays se situe autour de 1800 milliards de Fcfa. Donc, le chemin à faire est énorme et aujourd’hui compte tenu de la chute des recettes intérieures et d’exportation, tout cet argent, est certes la bienvenue, mais au final pas suffisante.

Pour accompagner les entreprises, l’Etat congolais a résolu de venir en garantie auprès des banques. Qui est concerné et comment être éligible ?

 Dans le cadre du Fonds national de solidarité, nous avons deux types de mesures : des mesures d’abondement des banques pour octroyer directement des crédits aux entreprises  – on en définira les critères et les fonds nécessaires sont mobilisés – et un Fonds de 25 milliards que nous avons créé pour  venir en garantie aux entreprises. Ces 25 milliards vont permettre aux banques de faire des crédits plus facilement aux entreprises installées au Congo, principalement les PME et pas les grands groupes internationaux.

Les critères sont simples : être une société de droit congolais ; ne pas avoir licencié dans la période, parce que nous voulons soutenir l’emploi ; avoir des projets qui favorisent l’investissement et que ces investissements créent des emplois. Nous voulons soutenir l’activité et nous voulons agir de manière indirecte. Il n’y aura pas d’aide directe aux entreprises à l’exception des petites entreprises, notamment les artisans. Nous sommes en train de réfléchir sur des mesures  concernant le secteur informel.  Nous allons doter les banques  pour environ 30 milliards de liquidités nécessaires pour octroyer des crédits et aussi abonder le Fonds de garantie de 25 milliards.

 Qu’en est-il précisément du secteur informel que vous évoquez?

A ce sujet, nous travaillons avec le ministère des PME en charge du secteur informel pour identifier les types d’entreprises que nous pourrions soutenir rapidement. On vise principalement les artisans.

Le pouvoir d’achat des Congolais, déjà affecté, l’est encore plus. Considéreriez-vous à long terme la revalorisation du salaire minimum congolais qui est 54.000 Fcfa ?

Probablement pas dans la situation actuelle. Cela sera forcément examiné si la croissance revient et si les équilibres macro-économiques du pays sont rétablis.

Confirmez-vous ce montant du Smic ?

Le Smic a été valorisé et il est autour de ce montant, entre 50 000 et 90 000 Fcfa.  Il faut qu’on revérifie parce qu’il a été revalorisé plusieurs fois ces dernières années jusqu’à 2014, voire 2015.

Si on peut mettre en oeuvre ces investissements maintenant, dès que la croissance reviendra, on cueillera les fruits

Le gouvernement français vient de valider l’Eco en Afrique de l’Ouest. Quelle conséquence pour le Congo et les pays de la CEMAC ?

Jusqu’à présent on ne relève aucune conséquence parce qu’il s’agit de deux zones monétaires, certes voisines, mais distinctes. Mais comme les chefs d’Etats l’avaient décidé, nous réfléchissons sur les relations que nous devrions avoir avec la France en ce qui concerne la gestion du Fcfa de l’Afrique centrale. Pour l’instant aucune décision n’a été prise et donc nous restons dans la situation d’avant ces mesures liées à la monnaie sœur ouest-africaine qui  est le franc Cfa de l’Afrique de l’ouest.

En mai dernier, la BEAC a alerté  sur un nouveau risque de dévaluation du Fcfa en Afrique centrale, du fait de la baisse du prix du pétrole, de la pénurie des devises, de la hausse importante des taux de change, et bien-sûr de la récession due à la pandémie. Confirmez-vous cela ? Ce risque est-il toujours d’actualité ?

C’est plutôt le contraire. La BEAC a dit que compte tenu du niveau de nos réserves, il n’y avait pas de craintes à avoir sur une quelconque dévaluation. Depuis deux ans, des mesures importantes ont été prises pour maitriser la sortie des devises, donc le rapatriement des devises par les sociétés installées dans la zone. Ces mesures portent leurs fruits et le niveau des réserves ne fait que croître. D’ailleurs à l’issue de la dernière réunion du comité ministériel de la Cosumaf, – l’organisme qui gère l’économie en Afrique centrale au niveau de la Cemac –  le constat est clair : les niveaux de réserve augmentent et donc il n’y a pas de risque de dévaluation.

Le ministre des Finances et du Budget a engagé des réformes pour moderniser la gestion des finances publiques et promouvoir la bonne gouvernance, comme évoqué. La bonne gouvernance exige aussi l’allègement des dépenses de l’administration et du gouvernement. Qu’en est-il au Congo ?

Quand vous voyez le budget de l’Etat il y’a eu des mesures de réduction des charges au  niveau de l’Etat, que ce soient les charges de salaire, les charges de biens et services, etc. Les efforts sont faits pour ramener le train de vie de l’Etat à des niveaux acceptables. D’ailleurs, ces efforts sont reconnus par les bailleurs de fonds.

Votre ministre a engagé des réformes importantes. A ce sujet vous avez affirmé vous impliquer pour « un aboutissement heureux » de tous les chantiers. Quels sont les chantiers repris et quel bilan, quel « aboutissement heureux » 4 mois après votre nomination?

Les principaux chantiers que j’ai trouvés c’est premièrement la mise en oeuvre de la loi de finances rectificative, que nous avons mené  et fait aboutir un mois plus tard. Ensuite il y’a les travaux du financement lié la pandémie : nous avons, à travers la loi de finances rectificative et sous les instructions du président de la République, mené à bien la mise en œuvre à du Fonds Covid et du Fonds national de solidarité. Aujourd’hui ces Fonds sont fonctionnels et abondés par des ressources de l’Etat et des dons. Il y’a aussi la mobilisation des ressources pour lesquels la loi de finances rectificative prévoyait des aménagements et des exonérations pour les contribuables.

Ce qu’on pourrait toutefois reprocher aux investisseurs, c’est de rechercher exonérations sur exonérations

En gros, nous avons essayé de prendre toutes les instructions nécessaires pour mettre en place ces modifications de la loi de finances. Et principalement, nous avons, à travers la Task force, l’organe qui gère la lutte contre la pandémie au niveau du gouvernement, pris toutes les mesures concernant l’accompagnement des entreprises et des ménages, à travers une grande instruction du 15 avril  dans les domaines fiscaux, douaniers, et même des mesures économiques de diverses natures pour les mois de confinement et les mois suivants. C’est cela qui m’a occupé essentiellement dans ces différents chantiers.

On ne peut pas travailler dans un pays et exiger des infrastructures et un cadre adéquat, sans vouloir payer les impôts

Par ailleurs, il a fallu aussi travailler sur les relations avec le FMI sur le volet Mobilisation des ressources externes. A ce sujet, nous avions sur la table la question de la mobilisation de la Facilité rapide au crédit, instituée par le Fonds pour assister les pays à faire face aux dépenses urgentes liées à la pandémie, d’ordre social, sanitaire, et économique. En dehors de la facilité rapide de crédit, nous avons un autre programme  avec le FMI qui est la Facilité élargie des crédits.  Pour ce qui est de la Facilité rapide, nos discussions avec le FMI sont toujours en cours. Nous avons bon espoir de bénéficier de cette mesure.

Pour ce qui est de la Facilité rapide, nos discussions avec le FMI sont toujours en cours et nous avons bon espoir de bénéficier de cette mesure

Nous avons encore travaillé sur la mobilisation des ressources externes concernant les dossiers de bénéfices des mesures du G20 en faveur des pays en voie de développement. Ces mesures permettaient à certains pays qui remplissaient un certain critère, notamment celui d’avoir respecté un programme en cours avec le FMI,  de pouvoir bénéficier de reports d’échéances, notamment celles de la période du 1er mai au 31 décembre. Le  Congo a donc constitué son dossier qui a été accepté par le G20. Nous avons ainsi bénéficié de tous les moratoires que le G20 a prévus dans le cadre de cette initiative. Par ailleurs, nous avons aussi travaillé, comme l’a souhaité le G20, avec les autres créanciers comme le Club de Londres, pour bénéficier des allègements de créanciers qui seraient partants pour aider le Congo. Là aussi, nous avons quelques bonnes nouvelles.

Du fait de la crise, nous avons connu une chute drastique des recettes intérieures, principalement des recettes douanières et fiscales

Il faut ajouter à cela le travail normal de mobilisation des ressources internes à travers les régies financières. Du fait de la crise, nous avons connu une chute drastique des recettes intérieures, principalement des recettes douanières et fiscales. Nous travaillons au quotidien sur ce dossier pour mobiliser les services, l’assiette principalement, afin que le retour à des meilleures pratiques soit au rendez-vous. Nous tenons beaucoup à la lutte contre les antivaleurs. Nous avons de ce fait sollicité une visite de l’ensemble des unités d’assiettes de l’administration des impôts ainsi que les principaux bureaux de douane.  Ensuite nous ferons un bilan et nous proposerons des mesures au gouvernement de manière à éradiquer les comportements déviants constatés et à mettre en place toutes les procédures  nécessaires. Ce qui permettra au pays de récupérer son autorité sur la collecte des ressources principalement et aussi son indépendance, car un pays qui ne collecte pas suffisamment d’impôts n’a pas son indépendance et son autorité pour gérer ses dépenses. Nous avons été occupés à cela ces quatre mois. Cela n’a pas été facile mais nous espérons que nous aurons des résultats très rapidement.

Vous êtes expert-comptable, premier président élu de l’Ordre des experts-comptables du Congo, vous avez 25 ans d’expérience dans le conseil et audit des institutions publiques et privées chez EY où vous avez été administrateur général depuis 16 ans. Vous arrivez sur la scène et tout vous réussit. Seriez-vous l’homme de la situation, le « joker » du ministre Calixte Nganongo?

Je dirais plutôt que le chef de l’Etat et le Premier ministre m’ont confié cette tâche auprès du ministre Nganongo pour aider le pays. Je ne peux pas être considéré comme son « joker ». Je travaille à ses côtés, pour qu’avec lui, nous avancions encore plus vite. S’il y avait une personne à choisir avec qui travailler et être intellectuellement en accord, ce serait monsieur Calixte Nganongo. Je fais un travail auprès du ministre Calixte que chacun peut apprécier comme il l’entend. Ce travail, j’en suis vraiment très fier.

Retourneriez en cabinet ?

J’ai connu cette chance de gérer un grand cabinet qui est EY pendant 16 ans, et ça fait beaucoup.   Repartir en cabinet, je ne pense pas. Pour l’instant je travaille pour mon pays, à la place où le chef de l’Etat a pensé que j’étais le plus utile. Je vais donner le maximum de moi-même. Je suis par ailleurs enseignant à l’université et donc je pense que j’ai des choses à faire en dehors de m’investir pour le privé. Le jour où travailler au gouvernement ne serait plus possible, je ferais probablement autre chose, mais pas repartir en cabinet.

 


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A propos CARMEN FEVILIYE 808 Articles
Juriste d’affaires Ohada / Journaliste-Communicant/ Secrétaire Générale de l'Union de la Presse Francophone - UPF section France