Mort de George Floyd : l’Afrique réagit

L’artiste kenyan Allan Mwangi, également connu sous le nom de Mr.detail.seven, s’est lancé dans un graffiti représentant l’Américain George Floyd, tué par un policier à Minneapolis dans la banlieue de Kibera à Nairobi. © GORDWIN ODHIAMBO / AFP

Sur le continent africain, comme partout dans le monde, les réactions se multiplient après la mort de George Floyd aux États-Unis.  Par 

Plus d’une semaine après la mort de George Floyd à Minneapolis, l’onde de choc n’en finit pas de secouer les États-Unis. Les Afro-Americains ne sont pas seuls à crier leur rage. Des dizaines de milliers de femmes et d’hommes dans le monde leur ont prêté leurs voix, notamment en Afrique. « Pour une première catégorie, l’indignation et la colère sont telles que la mort tragique de George Floyd rappelle que, depuis l’époque de la traite négrière à ce XXIe siècle, les choses n’ont pas fondamentalement changé pour l’homme noir », fait remarquer le directeur du Djely, le Guinéen Boubacar Sanso Barry. « En face, une seconde catégorie, bien qu’indignée, elle aussi, trouve néanmoins qu’il n’y a pas lieu de verser des larmes pour un drame qui se passe à mille lieues des terres africaines, alors que le continent africain vit ses propres drames au quotidien » prévient-il.

Les opinions publiques du continent, aussi bien dans les rues des principales capitales que via les réseaux sociaux voient un parallèle entre leur situation et celle des Afro-Américains, notamment face aux violences policières. Au-delà des réactions de soutien, le mouvement qui prend de l’ampleur de l’autre côté de l’Atlantique questionne d’une façon inédite le rapport des Africains avec les États-Unis et jette une lumière crue sur la situation réelle des Afri-Américains et des réfugiés africains loin de vivre le « rêve américain ».

L’Union africaine demande des comptes

Le premier fait marquant à souligner est sans aucun doute la réaction de fermeté venue du côté de l’Union africaine. Le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, a condamné avec force cette énième bavure policière touchant les Afro-Américains et a « présenté ses condoléances à sa famille et ses proches » dans un communiqué publié en fin de semaine dernière. Dans ce texte, le diplomate tchadien fait référence à la toute première conférence de l’Organisation de l’unité africaine de juillet 1964, au Caire, à laquelle avait participé en tant qu’observateur le leader emblématique de la Nation of Islam, Malcolm X. Ce dernier y avait tenu un discours panafricain devant « ses frères et sœurs africains » sur les discriminations dont étaient alors victimes, sur l’autre rive de l’Atlantique, les Afro-Américains. « En Amérique, nous sommes vos frères et sœurs, perdus depuis longtemps. Et si je suis ici, c’est uniquement pour vous rappeler que nos problèmes sont vos problèmes. Alors que les Afro-Américains se réveillent aujourd’hui, nous nous trouvons sur une terre étrangère qui nous a rejetés. Et, tel le fils prodigue, nous nous tournons vers nos frères aînés pour obtenir de l’aide. Nous prions pour que nos supplications ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd », avait-il lancé à la tribune. L’OUA, qui deviendra l’UA, avait alors adopté une résolution contre les discriminations raciales, aussi bien en Afrique du Sud qu’en Rhodésie ou aux États-Unis. Cinquante-six ans plus tard, force est de constater que les choses n’ont pas vraiment changé.

Plus tôt, Kwesi Quartey, vice-président de la Commission de l’UA, était monté au créneau, indiquant que l’organisation panafricaine était « bouleversée d’assister à une nouvelle exécution injustifiée d’un homme afro-américain […] pour l’unique raison qu’il EST NOIR ». « Nous sommes peut-être noirs, mais nous sommes aussi des personnes », écrit le diplomate ghanéen, ajoutant que « l’Union africaine demande une enquête complète sur ce meurtre ».

L’Afrique choquée et bouleversée

« Je ne peux plus respirer. » Ce furent, lundi 25 mai, les derniers mots de George Floyd. Durant près de neuf minutes, 8 minutes et 46 secondes pour être précis, le policier qui l’immobilisait a maintenu la pression, avec son genou gauche, contre le cou de la victime. Je ne peux plus respirer, a répété George Floyd à plusieurs reprises. Please ! (Pitié !). En vain. Ces images ont fait le tour du monde et ont choqué plus d’un, dont le président ghanéen Nana Akuffo-Addo, qui s’est s’exprimé sur sa page Facebook. Lui, dont le pays a organisé il y a un an, l’année du retour, réunissant des milliers d’afrodescendants, a déclaré que les Noirs du monde entier étaient « choqués et bouleversés » par le meurtre de George Floyd. « Nous sommes solidaires de nos amis et de nos parents en Amérique en ces temps difficiles et éprouvants », a-t-il poursuivi.

L’indignation est au comble, en Afrique du Sud. « Il est déplorable que, près de 70 ans après l’abolition de la ségrégation raciale en Amérique, les gens de couleur soient toujours tués pour la couleur de leur peau », a dénoncé le Congrès national africain, l’ANC, le parti de Nelson Mandela. Le mouvement Black Lives Matter, créé en 2013, a souligné le fléau des meurtres raciaux aux États-Unis en organisant des marches et des manifestations en réponse aux meurtres par la police d’hommes et de femmes noirs. « L’ANC a combattu et vaincu la suprématie raciale. Il ne restera pas silencieux face aux lynchages de Noirs où que ceux-ci se déroulent », a-t-il assuré.

Le mea culpa des ambassades américaines

Sur le plan diplomatique, bien que les autorités zimbabwéennes soient les seules à avoir convoqué l’ambassadeur américain, Brian Nichols, à Harare, la donne a bel et bien changé pour les États-Unis sur le continent africain. Conscients de l’image de l’Amérique sur un continent où l’influence de la Chine s’est accrue et où beaucoup ont ressenti un net désintérêt de l’administration Trump en Afrique, certains diplomates américains ont tenté de limiter les dégâts. « Le racisme est inacceptable, nous devons faire mieux », a écrit, ce mercredi, l’ambassadeur des États-Unis en République démocratique du Congo, Mike Hammer, dans une longue déclaration sur la mort de George Floyd où il cite Martin Luther King. « Le système a échoué à protéger un de nos citoyens comme il l’a trop souvent fait à l’égard de tant d’Afro-Américains », ajoute l’ambassadeur dans sa déclaration sur son compte Twitter, reprise sur le compte de l’ambassade américaine. « Je partage votre peine, je partage votre colère, je partage votre indignation concernant cette mort et je partage votre désir de justice », ajoute-t-il aux nombreux Congolais choqués qui l’ont interpellé sur les réseaux sociaux. « Une injustice, où qu’elle soit, menace la justice partout », poursuit-il, affirmant citer le leader des droits civiques Martin Luther King, assassiné en 1968. « Quand nous, en tant qu’Américains, dévions des idéaux de liberté et d’égalité qui ont fondé notre nation, nous devons nous engager […] à identifier nos failles, à corriger notre trajectoire », ajoute le représentant de Donald Trump, qui plaide régulièrement pour la lutte contre l’impunité et la corruption en RDC. « Alors que nous nous efforçons de parfaire notre démocratie américaine et d’atteindre nos idéaux, nous continuerons de rechercher le même engagement de la part de nos amis et de nos partenaires dans le monde entier », conclut ce fervent soutien des réformes amorcées par le nouveau président congolais Félix Tshisekedi.

Des déclarations similaires ont été tweetées par les ambassades américaines au Kenya et en Ouganda, tandis que les chancelleries en Tanzanie et au Kenya ont tweeté une déclaration conjointe du bureau du ministère de la Justice du Minnesota sur l’enquête. Il faut dire que l’enjeu est de taille pour ces ambassadeurs américains. En effet, seront-ils toujours légitimes pour engager les autorités locales sur les questions des droits de l’homme dans ce contexte explosif ?

Un ras-le-bol généralisé

Si le continent ne connaît pas encore de grands mouvements de contestation comme on en voit aux États-Unis, des organisations de la société civile commencent à s’organiser malgré les mesures de restrictions en vigueur à cause du coronavirus. À Nairobi, des manifestants se sont réunis devant l’ambassade américaine en brandissant des pancartes indiquant « Black Lives Matter » et « Stop Extrajudicial Killings ». L’organisatrice Nafula Wafula a déclaré que la violence contre les Noirs est internationale et a pointé la responsabilité de la police kenyane dans les violences qu’a connues le pays dernièrement lors de l’application des mesures anti-Covid-19.

« L’attitude des policiers est certes abjecte et inhumaine à la fois. Mais le déchaînement de colère et de violences auquel on assiste depuis doit être davantage perçu comme l’expression d’un ras-le-bol généralisé », analyse The Chronicle au Ghana. Comme le dit un proverbe akan choisi par le journal pour illustrer la situation, « lorsque la grenouille est remplie d’eau, elle commence par vomir ».

Boubacar Sanso Barry abonde également dans ce sens. « Les manifestations en série auxquelles on a droit depuis sont symptomatiques d’une Amérique qui n’a finalement pas tout à fait tourné le dos à ses vieux démons. Bien sûr, Barack Obama est le symbole d’une évolution incontestable, mais il aura surtout été l’arbre qui cache la forêt », analyse-t-il. Inégalités sociales, racisme, cet incident a mis en exergue des inégalités structurelles entre les populations blanches et les autres populations constitutives des États-Unis, et le Covid-19 a aggravé cette situation. Selon les statistiques, 25 % des Afro-Américains ont été atteints par la maladie, alors qu’ils ne représentent que 13 % de la population totale.

L’autre facette du rêve américain

Une situation qui remet cruellement en cause le rêve américain. « Je suis venue ici parce que mon pays était en guerre, et je me retrouve avec deux petits garçons qui ont peur parce qu’ils ne sont pas blancs », raconteTiha Jibi, qui a fui le Soudan du Sud à l’âge de 15 ans, en pleurant de rage. Quitter son pays, sa famille fut très dur, mais elle poursuivait son « American dream », pensant trouver la paix, la démocratie, l’égalité. « C’était un mensonge, il faut bien s’y résoudre », confie cette mère de famille à nos confrères de l’AFP.

Et pourtant, l’État du Minnesota, où se trouve Minneapolis, a une longue tradition d’accueil des réfugiés et, rapporté à la taille de sa population, figure parmi les États ayant le plus haut taux de réfugiés par habitant. Deka Jama, une Somalienne de 24 ans arrivée en 2007 aux États-Unis, souligne souffrir de plusieurs discriminations. Avant de venir aux États-Unis, « nous pensions que nous serions tous égaux, que nous ne serions pas jugés sur notre religion, notre couleur, nos vêtements. Mais ce n’est pas du tout comme ça que nous avons été accueillis », assure-t-elle. Aujourd’hui, elle se sent très proche des descendants d’esclaves, Américains depuis des générations : « Il y a quelque chose qui nous lie : nous sommes tous déshumanisés » par une partie de la population.

Selon le site de données démographiques Minnesota Compass, les familles africaines de l’État sont particulièrement affectées par la pauvreté. En 2016, 12 % de la population du Minnesota vivait sous le seuil de pauvreté, 31 % parmi la population éthiopienne et 55 % chez les Somaliens. Alors, pour beaucoup de réfugiés, c’est une autre facette du rêve américain, celle de l’ascenseur social, qui s’est fissurée au cours du temps.

Pourtant, c’est l’inquiétude pour les enfants qui domine. Une Éthiopienne, qui a requis l’anonymat, raconte ainsi avoir quatre garçons et se dit que, lorsqu’ils seront grands, ils pourraient bien subir du harcèlement policier, voire le sort de George Floyd. « C’est pour ça qu’il faut qu’on soutienne ce mouvement », dit-elle, en encourageant des manifestants qui défilent en contrebas sur une autoroute. « Il faut le faire pour arrêter le racisme, pour l’avenir. »

Le Point.fr

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A propos CARMEN FEVILIYE 808 Articles
Juriste d’affaires Ohada / Journaliste-Communicant/ Secrétaire Générale de l'Union de la Presse Francophone - UPF section France