“Paris City life ” : La « smart city » ou le défi d’un modèle propre à l’Afrique

Vue de la salle des fêtes de la mairie de Paris – La Tribune

L’hôtel de ville de Paris a abrité, les 26 et 27 novembre, le  forum « Paris City life » , inauguré par Anne Hidalgo, maire de la capitale française. Parmi ses invités, Stella Mensah Sassou N’Guesso, députée-maire de Kintélé, représentée par Guy Piacka, responsable de la décentralisation au sein de son cabinet. Quels sont les enjeux de la « smart city » ou ville intelligente , quelle “smart city” à adapter au continent africain? Un événement La Tribune sur le partage des bonnes pratiques concernant la mobilité de demain, en vue d’un monde inclusif et durable.

Urgence climatique oblige… Les questions de l’urbanisation massive généralisée, du fort accroissement démographique en Afrique et son impact dans le monde ont nourri l’échange sur l’importance des villes durables. Comment inventer une nouvelle mobilité ? Comment inventer la « smart city » africaine qui respecte les impératifs du continent ? Des questions débattues à l’ouverture marquée par les interventions de la maire de Paris, Anne Hidalgo et du scientifique  Carlos Moreno, spécialiste français de la ville intelligente, pour qui la mobilité urbaine constitue «  une liberté, un sujet central, une transition écologique et démographique, un enjeu de liberté. »

Hidalgo décrit les enjeux de Paris : “La mobilité, c’est la liberté et non la contrainte”

Dans son allocution d’ouverture, Anne Hidalgo  a précisé que « Paris est la ville de l’innovation ». Qu’en cela, « nous pouvons contribuer à faire changer les mentalités par les solutions nouvelles qui permettent de vivre mieux. », a-t-elle ajouté, informant qu’« avec les élus à Paris, on a décidé de considérer l’urgence comme nous obligeant à agir plus vite et plus fortement, une urgence qui s’est imposée depuis la COP21 ». « La mobilité, c’est la liberté et non la contrainte. Il faut sortir de l’indépendance de la voiture pour soi pour des solutions partagées. C’est la solution pour les grandes villes, avec d’autres solutions à inventer pour le monde rural. (…)  Pour cela il nous faut l’investissement public et privé dont on ne peut se passer, il faut sortir des enfermements mentaux, politiques et budgétaires, pour permettre de financer la transition écologique », a-t-elle ajouté.

Anne Hidalgo, maire de Paris – La Tribune

A quelques mois des élections municipales, la maire de Paris a tenu à défendre son bilan et à plaider pour une transition avec moins de voitures, davantage de pistes cyclables et de transports publics pour la ville de Paris.  Décrivant les défis auxquels elle a dû faire face, Anne Hidalgo a dénoncé « les menaces violentes des lobbys puissants, notamment celui du Diesel », contre son plan de transition écologique. Toutefois, la maire de Paris a dit rester optimiste grâce à la « la mobilisation de la jeunesse pour la construction du monde de demain, une jeunesse qui se projette dans autre chose que le modèle de prédation que nous leur laissons et qui s’activent déjà à Paris, notamment par le mouvement « Volontaires du climat » ». Pour cela, Anne Hidalgo a préconisé d’écouter les jeunes et de les impliquer « pour des actions utiles pour soi et pour la planète ». Quant au rôle de la société civile, selon Jean Jouzel, climatologue et glaciologue français, elle pourrait intervenir sur les mesures prises concernant le dérèglement climatique, telle la fiscalité carbone, qui contribue au risque d’accroissement des inégalités.

L’Afrique : l’exigence des « smart cities » adéquates

Comment inventer des villes intelligentes africaines et faire face  à l’urgence démographique, à l’urbanisation anarchique et informelle en Afrique ? La tribune dédiée à l’Afrique, – animée par Delphine Chêne Nordin, directrice de La Tribune Afrique et Michèle Sabban, présidente d’honneur du R20 et présidente du Fonds vert R20 pour les femmes – a réuni notamment, Stéphanie Rivoal, secrétaire générale du Sommet Afrique-France 2020, Penda Ndiye Cisse, conseillère municipale et représentante de la maire de Dakar, Karine de Frémont, directrice du département Transition urbaine et mobilités de l’AFD et Giles Babinet, Digital champion pour la France auprès de la Commission européenne. Les intervenants ont été unanimes sur le fait que le défi majeur des villes africaines se résume en ces chiffres: 1,2 milliards d’habitants dont 472 millions en milieu urbain. L’Afrique devrait donc voir la population de ses villes doubler d’ici 2025, pour atteindre 1 milliard de citadins, avec une très faible croissance économique et une prolifération de villes informelles. « Les politiques publiques sont pensées pour les minorités », a affirmé Gilles Babinet, expliquant le développement des villes informelles. Le Digital champion Français a illustré ses propos par Brazzaville et Kinshasa, les capitales de la République du Congo et de la RDC, où selon lui, une politique de désengorgement et de transport public serait existante, justifiant cette absence par la difficulté des pouvoirs publics à financer l’administration des villes. Pour lui, la solution serait de « reprendre le contrôle des villes africaines par les « smart cities », qui permettent à la technologie numérique d’apporter des solutions vertueuses en faveur de la bonne gouvernance ». Toutefois, le défi reste de « penser africain » et ne pas reprendre les modèles occidentaux.

Quid du financement des projets d’infrastructures propres ? « La mobilité dans les villes africaines est une question cruciale qui doit être associée à des projets plus structurés, car il s’agit aussi d’y mettre la qualité», a répondu Karine de Frémont  avant de décrire la stratégie de l’AFD pour faire face au manque de structures urbaines en Afrique: l’accompagnement des partenaires dans la planification des demandes par une procédure souple et l’invention des approches techniques et sociales nouvelles. Des résultats notamment à Lomé, au Togo, dans le traitement des déchets, un projet de 1,7 milliards d’euros en deux ans, (40% du portefeuille de l’AFD pour l’Afrique). Quant à l’implication des femmes dans la redéfinition du paysage urbain sur le continent africain, par le Fonds vert, l’AFD accompagne les femmes actives dans l’agro-foresterie et dans différents secteurs comme la santé, l’éducation et la formation.

La session Afrique avec de gauche à droite: Penda Ndiaye Cisse, Stéphanie Rivoal, Karine de Frémont, Lorenzo Kihlgren, Delphine Chêne Nordin – La Tribune

“Face aux défis urbains, les africains sont forcés d’être innovants”

« Le sommet Afrique-France 2020 va proposer des solutions concrètes pour les villes de toute taille », a expliqué Stéphanie Rivoal, secrétaire générale du Sommet. La thématique du sommet de Bordeaux – « Villes durables, les grands défis des villes africaines de demain »-, est selon elle « la manifestation concrète du discours d’Emmanuel Macron lors de son passage à Ouagadougou, au Burkina Faso, le 28 novembre 2017. Un discours qui a donné une tonalité et une vision sur la relation entre la France et le continent africain, reposant sur un partenariat renouvelé et sur un changement de regard. Le Sommet sera la déclinaison économique de cette volonté présidentielle»  « Face aux défis urbains, les africains sont forcés d’être innovants. Il existe déjà de belles applications de « smart cities » robustes et de bon sens, à la pointe du développement urbain du point de vue technologique, avec  le développement des compteurs intelligents et la collecte de déchets plastiques. Dans ce domaine, nous devons rester à l’épreuve des faits et du quotidien des africains. », a affirmé Stéphanie Rivoal, avant de relever le rôle de la femme africaine, colonne vertébrale de la famille et du secteur informel, qui doit être, selon la secrétaire générale, placée au cœur de l’économie.

Au Sénégal, il s’opère progressivement un aménagement des villes par des grands travaux, comme le rapporte  Penda Ndiye Cisse, conseillère municipale et représentante de la maire de Dakar. En effet, le Plan Sénégal Emergent (un plan quinquennal), englobe à la fois la transformation, la construction des infrastructures, le développement humain ainsi que la bonne gouvernance, avec plusieurs réalisations dans l’urbanisation : le train express régional de dernière génération ; le bus transit rapide, en faveur de la mobilité entre Dakar et sa banlieue. Le projet de création d’une ville nouvelle en vue de désengorger Dakar prévoit une « smart city », avec infrastructures institutionnelles et administratives, culturelles et sportives. Concernant le rôle de la femme sénégalaise dans le réaménagement des villes, les autorités sénégalaises considèrent qu’elle va jouer un rôle important dans la préservation de l’environnement, notamment dans la gestion des déchets des ménages. « Il est important d’associer les femmes aux projets. Mais l’accès au crédit fait défaut. », a déploré Penda Ndiye Cisse, rappelant toutefois que grâce à une loi sur la parité, l’assemblée nationale du Sénégal compte soixante-cinq femmes sur cent soixante-cinq députés, qui restent conscientes de leur rôle dans le contrôle des politiques publiques.

Anne Hidalgo, maire de Paris, pendant son allocution d’ouverture.

Proposée à l’origine comme solution à l’urbanisation rapide et anarchique, la « smart city » a été pensée pour résoudre les problèmes d’urbanisme et de développement durable des villes de pays développés, par la conception d’établissements publics écologiques, l’utilisation de matériaux favorisant l’efficacité énergétique, le développement du numérique, la création d’emplois, au moyen d’innovations permettant d’améliorer la mobilité, réduire la consommation d’énergie et offrir des solutions optimales pour la gestion des déchets et l’assainissement. En Afrique, tous ces dispositifs sont à adapter aux besoins et aux usages locaux ainsi qu’à la réalité de chaque pays. Avant tout,  la « smart city » africaine devrait proposer des solutions aux enjeux et problématiques africains : éducation, santé, mobilité, accès à l’eau et à l’énergie, gestion des déchets, financiarisation, sécurité, culture, etc.

A en croire Stéphanie Rivoal,  le Sommet de Bordeaux semble avoir pris les exigences africaines en considération, parmi lesquels le financement vert des projets, le numérique, l’innovation, la formation et la prise en compte des réalités africaines. Toutefois, une question s’impose: n’y a t-il pas une surenchère d’information au niveau du mot “smart” qui n’exprime pas nécessairement le caractère durable? La réponse en juin 2020.

Carmen FEVILIYE 

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A propos CARMEN FEVILIYE 808 Articles
Juriste d’affaires Ohada / Journaliste-Communicant/ Secrétaire Générale de l'Union de la Presse Francophone - UPF section France