Oumou Camara et Fatoumata Sall : « Nous avons travaillé et nous continuons de travailler durement »

De gauche à droite: Fatoumata Sall et Oumou Camara lors de la soirée de lancement de Santé mobile au siège parisien d’Orance – @ AFC

Voici deux femmes à suivre, deux mamans hors pair, lauréates de l’édition 2019 du programme Diaspora entrepreneurship avec le projet Santé mobile, transformé aujourd’hui en une entreprise innovante de soins infirmiers à domicile à Bamako, au Mali. Oumou Camara et Fatoumata Sall sont co-fondatrices et co-gérantes de Santé mobile. Les deux jeunes femmes excellent dans leur domaine. Oumou  est infirmière diplômée d’Etat et libérale en France depuis 2010.  Et Fatoumata, infirmière en France depuis 2014,   rentrée au Mali en 2016 où elle occupe le même poste. Une rencontre AFC avec deux superwomen, à l’issue de la soirée de lancement de leur entreprise, Santé Mobile,  le 25 octobre au siège d’Orange à Paris.

 

Propos recueillis par Carmen FEVILIYE

 

AFC : Parlez-nous de votre entreprise…

Oumou Camara : Santé mobile a été créée depuis peu. C’est un service de soins à domicile qui a été créé dans le but de garantir des soins des populations locales, soit à leur domicile ou à l’endroit où elles  le souhaitent.

Santé mobile,  avec le terme mobile, comme téléphone ou comme déplacement ?

Oumou Camara : Il s’agit de déplacement, mais pas que ! Parce qu’effectivement pour faire appel à nous, il y’a trois solutions : le téléphone mobile, le site internet (www.santemobile-mali.com) et l’application mobile qui est en train d’être finalisé. Une fois que le patient est connecté et qu’il fait appel à nous, nous réalisons une visite de diagnostique, avec devis. Une fois le devis accepté, nous proposons plusieurs solutions de règlement : Orange money, paypal, l’espèce et les chèques.  Nous avons pour partenaires Orange Money et Orange.

Que dire de l’application ?

Oumou Camara : Aujourd’hui nous savons  que l’Afrique est très connectée. Et le fait de pouvoir commander des soins en étant assis chez soi, c’est un concept innovant. Je pense que c’est la révolution !

Nous avions déjà commencé à lancer les choses avec les fonds propres

Quelle a été votre motivation en créant Santé mobile, votre entreprise ?

Oumou Camara : Notre motivation a été, comme je le disais,  de pouvoir apporter les soins infirmiers aux personnes, sans qu’elles n’aient besoin de se déplacer de leur domicile. C’est un besoin que j’ai ressenti personnellement par mon père. En France, je suis infirmière libérale de profession, et mon papa, qui était sur place, avait une pathologie chronique cardiaque qui nécessitait des soins. Aujourd’hui à la retraite,  il ne pouvait pas rentrer au Mali où il souhaitait s’installer, sans une personne qui intervienne à domicile. J’ai donc été son infirmière. J’ai dû prendre l’avion pendant deux ans et demi pour aller faire ses soins ! Cette situation devenant insoutenable, j’ai pensé qu’il y avait quelque chose à faire en matière de soins à domicile. Et avec Fatoumata Sall, nous avons décidé de créer Santé mobile.

 Santé Mobile, encore à l’étape de projet, a été présélectionné l’année dernière grâce au programme Diaspora Entrepreneurship de Pape Wane. Vous aviez également bénéficié de l’accompagnement de deux parrains : Pierre Auriacombe, conseiller de Paris, administrateur du SIAAP, président de la commission des Finances et maître Lewis Nsalou Nkoua, avocat au Barreau de Paris. Quel a été leur apport dans le projet ?

Oumou Camara : Déjà pour parler de Diaspora Entrepreneurship, nous avons été recrutés l’année dernière à la Banque mondiale en France, avec une connexion à Bamako. C’est mon associée Fatoumata Fall qui a participé aux sélections et qui été retenue par Pape Wane. Monsieur Auriacombe est un partenaire privilégié de Pape Wane et maître Nsalou Nkoua également car il s’occupe du juridique au sein de Diaspora sud vision et donc de Diaspora Entrepreneurship.

Nous avons reçu de la Banque Atlantique un prêt de 50 millions de Fcfa remboursable en cinq ans.

Et votre parcours depuis la présélection, quel est-il?

Fatouma Sall : Les dépôts de candidature ont été faits en décembre sur le site internet Diaspora Entrepreuneurship. Ensuite nous avons eu une réponse courant février et nous avons été invitées à passer les entretiens à Bamako. Le soir de l’entretien, Pape Wane nous a informées que notre projet a été sélectionné par la Banque mondiale et le jury d’experts. Après cette phase, les choses se sont enchaînées assez rapidement. Fin mars, nous avons participé à la présélection des projets au siège du SIAAP le 12 avril à Paris. C’était vraiment le premier événement avec Diaspora Entrepreneurship. Puis, retour à Bamako, où nous avions participé aux  « prime  times » de présentation et d’évaluation avec plusieurs experts. C’est lors du gala de clôture que nous avons su que nous étions les lauréates de Prime Diaspora entrepreneurship. Après cela, Oumou et moi  avons continué à travailler sur le projet.

Qu’avez-vous perçu comme financement ?

Fatoumata Sall : Nous venons à peine  de percevoir  de la Banque Atlantique un prêt de 50 millions de Francs Fcfa remboursable en cinq ans, pour faire face à l’achat de véhicules, du matériel médical, du local, de divers équipements etc. Mais nous avions déjà commencé à lancer les choses avec nos fonds propres. Bien-sûr le prêt nous permet d’aller plus vite et à plus grande échelle. Nous espérons pouvoir être opérationnel fin 2019, sur les six districts de Bamako d’abord.

 Hormis le prêt ?

Fatoumata Sall : Hormis le prêt, nous bénéficions aujourd’hui de réseaux, de connexions avec des personnes intéressantes qui nous ont poussées dans le projet, nous facilitant les démarches, comme l’obtention de l’agrément et de divers documents pour pouvoir s’établir.   C’était vraiment cela le principal…

Oumou Camara : Oui,  nous avons aussi bénéficié d’une visibilité grâce au programme Diaspora Entrepreneurship  diffusé au RTM, la télévision nationale au Mali.  Cette visibilité nous sert pour l’avancement de notre entreprise.

Comment vous organisez-vous entre le travail et la visibilité ?

Oumou Camara : Est-ce que cela s’organise ? Je pense que nous gérons plus au feeling et nous essayons de nous concentrer au maximum sur notre travail parce que nous voulons proposer un service de qualité et c’est important.

Comment définissez-vous la qualité que vous souhaitez apporter ? Quelle sera la touche Santé mobile ?

Fatoumata Sall : Au niveau de la qualité des soins, nous allons apporter l’exigence. Certes, il existe à Bamako des petites structures qui font des soins à domicile, mais cela reste informel. C’est souvent ceci : on connait un infirmier qui travaille à la clinique du coin, on va l’appeler pour qu’il vienne poser une perfusion ou faire un petit pansement, etc. Nous au contraire, nous allons apporter une structure organisée, avec un réseau de partenaires, de médecins spécialisés, de médecins généralistes, de sages-femmes qui pourront faire des suivis de grossesses à domicile. Nos partenaires sont des professionnels pratiquants que nous trouverons directement à Bamako. Pour l’instant, il n’existe pas encore à Bamako de réseaux de professionnels dans le domaine mais il y’a de bons professionnels de santé sur place.

 Une note positive à l’entrepreneuriat féminin. Qu’en pensez-vous ?

Oumou Camara et Fatouma Sall : Aussi !

Fatoumata Sall : Par rapport à l’entrepreneuriat féminin, on a peur de faire confiance aux femmes, on ne pense pas  qu’une femme va réussir à gérer une structure, à la faire grandir. Puis il y’a tous ces préjugés qui consistent à dire que la femme a réussi parce qu’elle est belle ou qu’elle a été courtisée. Oumou et moi avons vécu cette situation. Mais nous avons travaillé et nous continuons à travailler durement. En plus, nous sommes toutes les deux maman. Donc, gérer le quotidien, gérer les enfants, gérer le travail en même temps, ce n’est pas évident. Il nous arrive de craquer, parce que c’est lourd, parce que il y’a des jours où nous sommes épuisées. Mais nous avons à cœur de réussir. Nous voulons que nos enfants soient fiers de nous, qu’ils aient un modèle de vie. Nous avons défendu notre projet parce que cela nous tient à cœur. De là nous pouvons affirmer que certaines jeunes filles peuvent d’identifier à nous. Je pense que c’est la meilleure des récompenses qu’il puisse y avoir.

Schéma descriptif de l’activité Santé mobile

Actuellement la volonté des Etats est de diversifier les économies et de prendre à bras le corps le numérique. Vous répondez à ces deux aspirations car vous vous lancez dans le domaine de la santé et vous utilisez le digital. Vous « tapez dans le mil »…

Fatoumata Sall: Nous le sentons parce que depuis que nous avons commencé nous avons été approchées par des personnes du privé et du public. Les gens s’intéressent au concept Santé mobile mais aussi par nous, les femmes qui sont derrière, par notre envie et notre énergie à  mettre notre savoir au profit du développement de note pays d’origine.

Oumou Camara: Je pense qu’il ya vraiment une belle synergie des choses. Les gens sont surpris de voir deux femmes qui parlent de santé, un sujet important, en intégrant les  nouvelles technologies. Sans faire exprès, oui, nous pouvons dire que nous « tapons dans le mil ». C’est vrai que nous sommes dans l’air du temps, mais il nous faut garder le cap et fournir plus d’efforts.

Quel est votre plan d’attaque à court terme ?

Oumou Camara: Déjà, il faut savoir que Bamako est organisé en six districts. Ce qu’on voudrait, c’est se positionner d’abord sur ces six districts. Nous ambitionnons ensuite de nous installer dans la sous-région en commençant par la Côte d’Ivoire, nous espérons en 2020.

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Photos: AFC

 

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A propos CARMEN FEVILIYE 808 Articles
Juriste d’affaires Ohada / Journaliste-Communicant/ Secrétaire Générale de l'Union de la Presse Francophone - UPF section France