Adolphe Mballa : “Le code des Douanes révisé est un outil de droit apte à relever les défis contemporains du commerce extérieur »

CEMAC /CEEAC – Qu’est ce qui commande la réforme douanière en Afrique centrale ? Une question posée à Adolphe Keumbou Mballa, diplômé de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (ENAM) et spécialiste en commerce Extérieur et Changes, au cœur de l’action dans la sous-région. Fort de son expertise, le spécialiste a répondu à nos questions. Une interview AFC recueillie le 9 octobre de Libreville, au Gabon.

AFC : Monsieur Mballa,  l’Afrique est aujourd’hui un continent en mutation. Un continent émergent et dynamique grâce à des réformes impulsées dans différents domaines stratégiques. L’Afrique centrale n’est pas en reste et met en œuvre actuellement plusieurs réformes au niveau sous-régional, qui cependant restent méconnues du grand public. Quid de ces réformes dans la CEEAC  et la CEMAC ?

 Adolphe Mballa : La CEMAC et la CEEAC ont entrepris des réformes institutionnelles  pour  faire face aux nouveaux défis.  Selon les rapports d’audits, plusieurs raisons justifient ces réformes: le manque de ressources financières qui obère fortement les capacités de ces communautés à fournir des réponses appropriées aux nombreuses crises qui menacent la paix, la sécurité, la stabilité et le développement socio-économique ; l’appartenance des Etats-membres à plusieurs autres organisations internationales sous-régionales; l’obsolescence du dispositif légal et réglementaire et enfin la nécessité de les arrimer aux normes et standards internationaux.

Pour conjurer ces difficultés, la CEMAC a entamé des réformes dans le cadre de son Programme de réformes institutionnelles (PRI) depuis 2006, marquées précisément par la révision de ses textes fondateurs et la nouvelle gouvernance de ses institutions financières telle que la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC). Les chefs d’Etat et de gouvernement, du fait de l’effondrement des cours des matières premières, principalement le pétrole brut, ont instruit à l’occasion de leurs conférences de juillet et de décembre 2016, l’adoption d’un Programme de réforme économique et financière (PREF) et la révision du Programme économique régionale (PER).  Dans le même sillage, la CEEAC – dont six de ses Etats sont également membres de la CEMAC – a lancé son processus de réformes institutionnelles depuis 2015, pour tenir compte des enjeux contemporains et mondiaux. A ce jour, le Comité de pilotage de la réforme institutionnelle a adopté, au cours de sa deuxième session tenue le 27 juillet, les textes essentiels de la réforme qui seront par la suite soumis à l’approbation de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement.

Actuellement, ni la CEEAC, ni l’Union africaine, qui ne sont encore qu’au stade de  zone de libre-échange, n’ont touché à la question fiscale.

En 2018, les Etats membres de la CEMAC ont entamé une révision du code des Douanes communautaire. Quelles en sont les principales nouveautés ?

 La CEMAC est à l’étape d’un marché commun disposant depuis 2001 d’une réglementation douanière commune issue du code des Douanes de l’Union Douanière des Etats d’Afrique Centrale – UDEAC (Acte N°8/65-UDEAC-37 du 14 décembre 1965). Plusieurs facteurs ont commandé la refonte du code des Douanes : la facilitation et la simplification des échanges, la contrefaçon, les flux illicites de fonds et les questions de sécurité.  Ainsi, un code des Douanes communautaire plus élaboré a été adopté au cours de la 33è session ordinaire du Conseil des ministres de l’Union économique de l’Afrique centrale (UEAC), tenue le 22 mars 2019. Les innovations touchent à la fois à la facilitation, à la simplification et aux procédures informatisées des échanges. Elles sont également afférentes à l’intégration sous-régionale par le réaménagement des régimes douaniers, le transit et les principes de l’origine des marchandises. L’on ne saurait oublier les dispositions nouvelles contre la fraude et la contrefaçon, l’allègement de la responsabilité en matière de contentieux douanier, par la reconnaissance de la bonne foi. L’on peut légitimement affirmer, en dépit de quelques réserves, que le code des Douanes révisé, est un outil de  droit apte à permettre à la CEMAC de relever les défis contemporains du commerce extérieur dans l’optique final d’une prospérité plus significative des économies et du bien-être des populations de la région.

Les innovations touchent à la fois à la facilitation, à la simplification et aux procédures informatisées des échanges.

Il y a eu l’intégration juridique avec l’OHADA. Aujourd’hui la question fiscalo-douanière reste en suspens, car les règles et les pratiques ne sont pas encore harmonisées. Les défis d’intégration en cette matière vont-ils être relevés ? Quels sont les freins à cette avancée ?

L’OHADA est pour l’instant une organisation particulière d’intégration par le droit. Elle est la plus transversale au regard de ses Etats membres et par ses domaines matériels harmonisés. En théorie, rien ne s’oppose, au regard du Traité OHADA, à ce qu’il harmonise en son sein également le droit fiscalo-douanier. Ceci est d’autant plus faisable que la douane tire l’essentiel de ses dispositions des conventions internationales auxquelles sont parties la plupart des Etats membres de l’OHADA.  Cependant, la Zone de libre -échange continentale et Africaine (ZLECAf) me semble avoir déjà emboîté cette perspective car l’étape du marché commun étant prévue pour l’avenir, le continent africain se dotera certainement d’un code des Douanes. Sur le plan fiscal, on n’en est pas encore à l’intégration. Pour l’instant la fiscalité interne demeure de la compétence des Etats. Il existe néanmoins quelques conventions liant certains Etats sur ce sujet, mais la CEMAC reste la seule organisation d’intégration qui a travaillé à l’harmonisation des taux de la TVA et du droit d’accises.  Actuellement, ni la CEEAC, ni l’Union africaine, qui ne sont encore qu’au stade de zone de libre-échange, n’ont touché à la question fiscale.

Les réformes travaillent aussi à l’amélioration de la gouvernance par la promotion de l’éthique et la sanction de la fraude

La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) a été récemment lancée. Quelles implications pour les administrations douanières ?

Sur le plan continental, la ZLECAf a été officiellement lancée en mai 2019, après plusieurs années de négociations. Elle couvre quatre grands domaines principaux : les marchandises, les services, les investissements et la propriété intellectuelle. La Douane est au cœur même de la mise en œuvre de la ZLECAf car celle-ci vise l’accroissement des échanges intra-africains. Les administrations douanières s’y préparent par la mise en jeu d’un certain nombre de mesures et de réformes telles que l’automatisation des procédures, le renforcement des capacités, les réformes réglementaires, la gestion axée sur les résultats et la mesure des performances, etc. Les responsables des administrations des Douanes de l’Union africaine, réunis du 19 au 20 septembre à Kampala, ont longuement échangé à cet effet et leur rapport final de session en dit long.

L’intégration constitue en même temps un processus, un résultat et une solution aux multiples enjeux de paix et de développement socio-économique.

L’harmonisation des systèmes informatiques de dédouanement et de transit constituent des préalables indispensables à la réalisation de ZLECAf.  Ce qui n’est pas encore le cas. La zone de libre-échange à caractère continental n’est-elle pas précoce ?

C’est un préalable ou une modalité comme bien d’autres. Je pense que, conformément au Traité de la ZLECAf, l’intégration continentale pourrait s’appuyer sur les piliers que constituent les organisations sous-régionales. Cela permettrait de capitaliser les acquis et les meilleures pratiques dans les sous-régions où l’on note une interconnexion progressive des systèmes informatiques douaniers.

La CEMAC a décidé de réformer la réglementation des changes applicable à ses Etats membres, une réforme concrétisée par l’adoption d’un Règlement le 21 décembre 2018. Qu’en est-il concrètement ?

En la matière, le Règlement précédent de 2000 ne pouvait plus résorber les problèmes constatés. Très globalement, le nouveau dispositif de la réglementation des changes affirme le principe de liberté de circulation des paiements et des capitaux.  Il définit les rôles des différents acteurs et clarifie leurs attributions avec une reprise en main de l’administration de la politique des changes par la Banque centrale. Il opère également une mise en conformité avec la réglementation en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, permettant ainsi à la Banque centrale de mettre en œuvre les recommandations du Groupe d’action contre le blanchiment d’argent. Il réaménage également l’encadrement des paiements liés aux services et le régime des comptes extérieurs en devises ainsi que des infractions et les procédures de sanctions.

Quelles sont les difficultés auxquelles font face la CEMAC et la CEEAC  et que préconisent les Etats membres ?

Malgré les avancées, les difficultés demeurent présentes et variées. Nous pouvons citer la question cruciale du financement de ces organisations, le manque de ressources humaines, l’appartenance à plusieurs organisations internationales, le défi de la cohésion et la stabilité politique et socio-économique des Etats membres… Pour y faire face, nous l’avons déjà évoqué, des réformes institutionnelles et matérielles sont en cours ainsi que le renforcement des partenariats stratégiques.

Le nouveau dispositif de la réglementation des changes affirme le principe de liberté de circulation des paiements et des capitaux.

Concernant la Douane, les usagers se plaignent particulièrement de fraudes, de trafics illicites, de la lenteur de l’administration, de la complexité et de la méconnaissance des procédures douanières, auxquels s’ajoute l’insécurité transfrontalière. Quelles sont les mesures mises en place pour améliorer le service et assurer la sécurité des usagers et des frontières?

Actuellement, nous assistons à des réformes au sein des administrations douanières pour y faire face. Dorénavant, elles ont entre-autres obligations, la vulgarisation des textes fixant les procédures à travers plusieurs supports, notamment informatiques ; la modernisation et la réduction des coûts et du temps de dédouanement. Elles travaillent aussi à l’amélioration de la gouvernance par la promotion de l’éthique et la sanction de la fraude.  C’est un effort constant, tant les défis sont grands et souvent antinomiques, relevant à la fois de la sécurité et de l’accroissement des recettes fiscalo-douanières.

A propos de la lutte contre les faux médicaments, la CEMAC va adopter une réglementation contre les infractions liées au trafic de médicaments et produits de santé contrefaits. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Les ministres de la Santé de la zone CEMAC ont en  effet validé un projet de texte portant répression et sanction des produits illicites et contrefaits que sont les faux médicaments dont le commerce est devenu massif et inquiétant, selon de nombreux rapports. Sa mise en œuvre, couplée à d’autres actions, permettra sans doute d’endiguer ce fléau.

Du fait des troubles et des conflits armés, nous avons assisté  à une période d’inactivité de la CEEAC. Aujourd’hui la stabilité politique s’améliore mais tout reste encore fragile. Ce paradoxe constitue-t-il un frein aux projets communautaires en Afrique centrale ?

 La situation socio-politique en zone Afrique centrale est d’une stabilité relative selon les analystes. Mais, des efforts de retour à la paix, de stabilité ou de prévention sont faits par les communautés sous-régionales et par la communauté internationale, selon les situations dans les Etats membres de la CEEAC/CEMAC. Il va de soi que les processus communautaires, notamment les projets intégrateurs, ne peuvent prospérer qu’en cas de situation de paix. En ce sens, l’intégration constitue en même temps un processus, un résultat et une solution aux multiples enjeux de paix et de développement socio-économique.

Propos recueillis par Carmen FEVILIYE

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A propos CARMEN FEVILIYE 808 Articles
Juriste d’affaires Ohada / Journaliste-Communicant/ Secrétaire Générale de l'Union de la Presse Francophone - UPF section France