Congo – France : Pour François Hollande, Alain Mabanckou est une autorité morale

Le chef de l’Etat français a reçu Alain Mabanckou au Palais de l’Elysée, en début de soirée du 14 juin. Un entretien privé de 45 minutes qui a permis aux deux hommes de discuter de la  tension qui règne dans les débats politiques au Congo.

L’écrivain congolais a proposé au président français « des pistes de solutions » qui pourraient selon lui, décanter la tension qui règne dans les débats politiques du Congo suite à la réélection de Denis Sassou N’Guesso dans des conditions décriées par l’opposition et dont les résultats, a affirmé Alain Mabanckou,  « ne reflètent pas le sentiment de l’ensemble de la population congolaise », estimant son pays dans une situation de « blocage politique ».  Alain Mabanckou voit la sortie de crise par l’organisation d’un dialogue placé sous l’égide de la communauté internationale. Un communiqué officiel de la rencontre sera publié sur le site officiel de l’Elysée dans la matinée du 15 juin.

Le point de la rencontre par une interview de l’écrivain franco-congolais à AFC à l’issue de la rencontre avec le président français.

AFC : Vous sortez d’un entretien avec François Hollande sur la situation politique du Congo-Brazzaville. Comment justifier  une rencontre avec le président français pour évoquer des questions qui concernent la République du Congo ?

Alain Mabanckou (A.M.) : Je pense que c’était une volonté commune de nous voir après la publication au Nouvel Observateur de ma lettre ouverte au président français. Il devenait urgent de parler de la situation qui prévaut au Congo. Personnellement, étant Congolais, je souhaitais savoir ce que pense le président François Hollande de ces élections, de la manière dont elles se sont déroulées et discuter de la situation politique congolaise.

Je ne me suis pas rendu auprès du président français pour larmoyer chez l’ancien colonisateur, je ne suis pas de cette fibre-là. Je ne suis pas non plus naïf pour comprendre que derrière la relation entre la France et le Congo, il existe des intérêts économiques. C’est pour cela, qu’en allant vers le Président de la République française, je souhaitais qu’il dise clairement la position de la France sur ces  élections qui sont jusqu’alors contestées, avec une opposition qui est émiettée, ou poussée au retranchement. Je pense à Jean-Marie Michel Mokoko, au professeur Zacharie Bowao, à Okombi Salissa et d’ autres… Il n’est pas normal qu’au 21ème siècle nous ayons une république dans laquelle les hommes politiques de l’opposition sont bannis, poussés pratiquement à la réclusion.

AFC : Pensez-vous être la personne habilitée à rencontrer le président français ?

A.M. : Le président de la République a dit que j’étais une autorité morale… Oui, je préfère être une autorité morale qu’une autorité politique. Une autorité morale se place au-dessus des partis et des politiques afin de constituer une voix qui parle directement au peuple, à la jeunesse…

AFC : Justement, parlons de la jeunesse congolaise qui est, selon vous, prise en otage. Il y’a sur ce point un distinguo à faire entre la jeunesse au Congo-Brazzaville, beaucoup plus concernée, car muselée, selon vos propos, et la diaspora qui l’est de manière indirecte… Le plus grand terrain pour exercer votre autorité morale serait peut-être au Congo même. Qu’en pensez-vous ? Pourquoi demander au président François Hollande l’organisation d’un dialogue international, alors que vous pourriez commencer par les autorités congolaises ?

A.M : Si je propose un dialogue international sur le Congo-Brazzaville,  pensez-vous que je vais mettre de côté les autorités de ce pays ? Il ne s’agit pas de faire un dialogue en aparté avec François Hollande et le gouvernement français. Le dialogue dont je fais état inclut évidemment la classe politique congolaise. A Brazzaville, tous veulent d’un dialogue. Quelle sorte de dialogue voulons-nous ? Je ne pense pas refaire un autre Sibiti. Il s’agit ici d’un dialogue sur le plan international comme celui qu’a initié la France en faveur de l’amitié israélo-palestinienne. Je pense que ce modèle de dialogue est possible à condition que chacun de nous mette son ego de côté.

AFC : Pensez-vous que le Congo se trouve dans une situation d’urgence telle qui justifierait un dialogue de niveau international, une convocation qui répond généralement à des situations de guerres civiles avérées, de catastrophes humanitaires et économiques?

A.M : Pourquoi voulez-vous qu’on attende toujours une guerre civile ou une catastrophe pour commencer à dialoguer ? On dialogue aussi pour prévenir.  Vous savez, si nous avons connu un génocide au Rwanda, c’est parce qu’il n’y a pas eu de dialogue préalable. Dans la plupart des catastrophes, c’est le manque de dialogue qui a précédé. Aujourd’hui, il est question non pas d’aller éteindre des incendies, mais d’empêcher certains de jouer avec des allumettes.

AFC : Jean-Claude Gakosso, le ministre congolais des affaires Etrangères et des Congolais de l’Etranger se trouve actuellement sur le territoire français pour une rencontre qui a eu lieu en fin de matinée du 14 juin avec Jean-Marc Ayrault, ministre français des affaires Etrangères. Les deux hommes politiques ont également discuté de la question du Congo. Qu’en pensez-vous, vous qui venez de rencontrer François Hollande ?

A.M. : Si le ministre des affaires Etrangères, Jean-Claude Gakosso a été reçu par Jean-Marc Ayrault, c’est tout à fait normal. Pour ma part, je n’ai pas demandé à être reçu par le ministre des affaires Etrangères parce que je ne suis pas diplomate. Je suis écrivain. J’ai demandé à être reçu par le président des Français, par ce que c’est lui qui a été élu par le peuple. Un ministre des affaires Etrangères est nommé, il n’a pas le mandat de représenter le peuple. Il représente la politique du gouvernement.

AFC : Un communiqué officiel des conclusions de votre rencontre avec le Président français sera publié d’ici peu… Quels en seront les termes ?

A.M. : Je suis très satisfait, car le Président Hollande va faire publier un communiqué officiel de notre rencontre. Le texte reprendra les principaux points de notre entretien : la nécessité d’un dialogue, la nécessité que la France soit claire dans son regard sur la politique du Congo …

AFC : Claire, de quelle manière ? Vous attendiez-vous à ce que le président Hollande affirme que la France n’est pas favorable au résultat des élections, ni sur la manière dont les élections se sont déroulées ?

A.M. :  Elle l’avait déjà dit.

AFC : La France l’avait affirmé et ses autorités avaient également demandé un dialogue entre les partis. Ce n’est pas nouveau.

A.M. : La France a délivré un communiqué du Quai d’Orsay qui a respecté le langage diplomatique : au regard des irrégularités et des circonstances troubles qui ont entouré l’organisation des élections, elle ne pouvait se prononcer. C’est du langage diplomatique ! En clair, cela veut dire : nous ne reconnaissons pas cela !

AFC : Si tel était le cas, pourtant les institutions congolaises ne sont pas inquiétées et les principaux ministres viennent en France pour des visites officielles…

A.M. : Si les autorités congolaises font le tour des capitales étrangères, et si elles viennent y trouver des solutions sur les sujets qui nous préoccupent, je serais ravi d’en prendre connaissance. Peut-être que cela aidera à aller dire aux jeunes congolais que le premier ministre de fait a eu à rencontrer le ministre français des affaires Etrangères et que tout est bien dans le meilleur des mondes !

AFC : Au sortir de cet entretien, avez-vous le sentiment d’une mission accomplie ?

A.M. : je ne fais pas de mon dévouement pour le Congo une sorte de calendrier sur lequel je cocherais les tâches réalisées…

AFC : Vous ressentez certainement une satisfaction personnelle puisque vous avez soulevé  et décrié la question des élections au Congo dans les médias, notamment français…

A.M. : Vous êtes les médias !… C’est parce que vous me posez des questions que je réponds ! Quand je parle à la BBC, les journalistes congolais n’écoutent pas, quand je m’adresse à la Voix de l’Amérique, ils n’écoutent pas non plus, lorsque je donne des interviews dans des journaux polonais, danois, sud-africain, à plusieurs journaux…, cette sorte de prisme journalistique franco-français a fait que les journalistes de chez nous pensent que tout ce qui se dit en français annonce la fin du monde !

AFC : Alain Mabanckou, ambassadeur de paix ?

A.M. : Ambassadeur de paix, ambassadeur de la littérature, il n’y a aucun problème dans la mesure où cela ne m’impose pas une posture politique

AFC : Croyez-vous ne pas avoir une posture politique ?

A.M : La seule posture qui me va comme un gant, c’est celle de l’indignation.

 

Propos recueillis par Carmen Féviliyé

 

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A propos CARMEN FEVILIYE 808 Articles
Juriste d’affaires Ohada / Journaliste-Communicant/ Secrétaire Générale de l'Union de la Presse Francophone - UPF section France